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jeudi, 06 février 2020

Julien Freund : La fin des conflits ?

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Julien Freund : La fin des conflits ?

par Chantal Delsol

Ex: https://www.chantaldelsol.fr

Communication prononcée au colloque Julien Freund, Strasbourg, 2010

On sait que Julien Freund ne croit pas à la fin possible des conflits dans le monde humain. C’est bien d’ailleurs ce postulat, fondamental dans sa philosophie, qui l’avait opposé à son premier directeur de thèse, Jean Hyppolite, l’avait conduit à chercher un autre directeur de thèse qu’il avait trouvé en la personne de Raymond Aron, et avait occasionné un débat pathétique et drolatique avec Hyppolite lors de la soutenance de thèse.

L’accusation d’utopisme porté par Freund aux pacifistes ne l’englue pas dans un empirisme cynique, mais laisse la porte ouverte à une espérance qui est d’une autre sorte. Je voudrais montrer que cet idéal, outre qu’il marque l’empreinte religieuse dans l’esprit de notre auteur, signe la marque de son temps : il n’a pas pu voir quel genre de « fin des conflits » est attendue aujourd’hui, tout autre que celle des utopies présentes à son époque. Ce qui montre l’inscription de sa pensée dans une époque, en même temps que sa pérennité.

Appartenant à cette minuscule espèce des intellectuels non-marxisants de son temps, Freund use une bonne partie de son énergie à argumenter contre les utopies de la paix universelle. Il aime partir de l’argument kantien : si les rois européens ont réussi à éteindre les conflits privés sur leurs terres afin de constituer des Etats souverains nantis du monopole de la violence légitime, pourquoi un Etat universel ne pourrait-il un jour éradiquer les conflits inter-étatiques ? L’idée est belle, elle appelle l’instauration du souverain bien, si l’on veut apercevoir que le bien, inverse du diabolos, est lien, sumbolos – donc paix et fraternité. Mais l’instauration du souverain bien, déclinée comme un programme politique international, est simplement « l’un des rêves du socialisme ». La paix sous cet aspect universel et abstrait est une valeur non médiatisée, donc impraticable, car dès qu’il faudra en donner la définition, les conflits se développeront à ce sujet (« rien n’est plus ‘polémogène’ que les idées divergentes sur la perfection », Politique et Impolitique, Sirey, 1987, p.207). Pour Freund, les conflits existent simplement parce que les hommes nourrissent des croyances et des attachements, au nom desquels ils se querellent, et vouloir annihiler les conflits serait vouloir priver les hommes de pensée. Si l’on reprend un slogan actuel qui marque la misanthropie de notre contemporain : « les animaux, eux, au moins, ne se battent que pour manger », on pourrait dire que pour anéantir les conflits humains il faudrait tous nous décerveler, nous ramener à l’état animal… Cela signifie que l’Etat mondial ne sera pas soustrait, parce qu’unique, aux querelles et combats internes, d’autant qu’il pourra aisément, parce qu’unique, se retourner contre ses peuples (qui jugera le juge ultime ?). Freund se saisit lui aussi de la conclusion du dernier Kant : un Etat mondial serait despotique.

Il reste que la notion de « nature humaine », expression que Freund utilise souvent -je préfèrerais « condition humaine », qui est moins statique et moins fondée dans une dogmatique-, est plurivoque.

La « nature humaine » sous entend des caractères humains immuables et enracinés dans des spécificités : essentiellement, ici, quand il s’agit de la pérennité des conflits, la liberté humaine devant l’impossibilité d’atteindre la Vérité, et donc le débat infini entre les croyances ; et en même temps, l’enracinement de l’homme dans une culture particulière qu’il ne pourra que défendre face aux autres et contre les autres.

Mais aussi, la « nature humaine » comprise dans la dimension de l’espérance, sous entend que l’homme partout et toujours vise le bien parfait, entendu universellement comme un lien.

jfdec.jpgAinsi, la paix est un idéal, et en tant que telle, comme l’espérance d’Epiméthée, elle mérite nos efforts plus que nos ricanements. Il est juste que nous fassions tout pour faire advenir une paix lucide, sachant bien qu’elle ne parviendra jamais à réalisation. En ce sens, l’aspiration à la société cosmopolite est une aspiration morale naturelle à l’humanité, et vouloir récuser cette aspiration au nom de la permanence des conflits serait vouloir retirer à l’homme la moitié de sa condition. En revanche, prétendre atteindre la société cosmopolite comme un programme, à travers la politique, serait susciter un mélange préjudiciable de la morale et de la politique. Parce que nous sommes des créatures politiques, nous devons savoir que la paix universelle n’est qu’un idéal et non une possibilité de réalisation. Parce que nous sommes des créatures morales, nous ne pouvons nous contenter benoîtement des conflits sans espérer jamais les réduire au maximum. Le « règne des fins » ne doit pas aller jusqu’à constituer une eschatologie politique (qui existe aussi bien dans le libéralisme que dans le marxisme, et que l’on trouve au XIX° siècle jusque chez Proudhon), parce qu’alors il suscite une sorte de crase dommageable et irréaliste entre la politique et la morale. Mais l’espérance du bien ne constitue pas seulement une sorte d’exutoire pour un homme malheureux parce qu’englué dans les exigences triviales d’un monde conflictuel : elle engage l’humanité à avancer sans cesse vers son idéal, et par là à améliorer son monde dans le sens qui lui paraît le meilleur, même si elle ne parvient jamais à réalisation complète.

Or sur quoi repose cette notion d’idéal, et l’espérance qui la fonde ? Sur une vision du temps fléché, vision apparue avec les judéo-chrétiens et poursuivie à partir de la saison des Lumières grâce à la croyance au Progrès. Julien Freund se situe dans le temps fléché.

Dans la conclusion de Politique et Impolitique, Freund évoque la désaffection du politique, désaffection en plein développement. Il la lie au désir de destruction qui caractérise les courants extrêmes de son époque, et il évoque la complexité croissante des problèmes et l’identification de la politique et de la technique. Mais Freund n’a pas connu le développement tout récent d’un âge vraiment technocratique, notamment à partir du « gouvernement » européen depuis le début des années 90. Il s’agit là d’une gestion plutôt que d’un gouvernement, d’une administration au sens où Platon prétendait qu’ « il n’y a pas de différence de nature entre une grande oikos et une petite polis » (aussitôt critiqué à ce sujet par Aristote dans La Politique). Freund n’a pas connu le déploiement récent de l’idée de « gouvernance », et la fascination qu’exerce sur nous l’idée de consensus.

Le consensus, « mot-hourrah », représente une aspiration permanente depuis la fin du XX° siècle, et traduit la méfiance vis à vis du vote majoritaire en vigueur en Europe depuis le XIII° siècle (et même depuis le VII° siècle dans les monastères). Le consensus était le système de décision qui prévalait dans toutes les assemblées populaires anciennes, depuis le purhum mésopotamien jusqu’au fokonolona merina malgache, en passant par les diverses assemblées populaires de la plupart des peuples avant l’apparition des régimes autocratiques. Le regain du consensus se développe d’abord aujourd’hui dans les sociétés scandinaves, mais il se déploie dans les organisations internationales (ce qui est logique, puisque chaque pays y représente une souveraineté : il faut s’y soumettre dans la plupart des cas à une sorte de liberum veto). Le consensus est à la mode dans les instances dites de gouvernance, assemblées horizontales censées se substituer à la souveraineté et à la contrainte gouvernementale, ou au moins s’y surajouter. La gouvernance, type de gouvernement sans gouvernement, voudrait remplacer le débat entre les visions du monde par la négociation des intérêts. Dans un monde dénué désormais de croyances et d’idéologies communes, et marqué par le matérialisme, la querelle entre les finalités (ou guerre des dieux) est censée être remplacée par un compromis entre les intérêts matériels (on peut négocier les intérêts, mais on ne peut négocier les croyances).

L’appel au consensus s’accompagne de la récusation de la démocratie, récusation présente depuis peu d’années (alors que la démocratie se trouvait encore en pleine gloire après la chute du Mur). Les perversions démocratiques (corruptions des gouvernants), la lassitude des citoyens marginalisés (absentéisme électoral massif), l’accusation d’incompétence des citoyens devant des décisions de plus en plus complexes, et en outre, le soupçon devant un peuple conservateur voire sauvage (vote sur les minarets en Suisse), apportent de l’eau au moulin des antidémocrates et suscite l’avènement d’une ère technocratique, du gouvernement des experts – dans son Livre Blanc de la Gouvernance, la Commission européenne parle d’expertise et non de gouvernement. C’est, en termes grecs, le remplacement de la polis par l’oikos.

Ces évolutions extrêmement rapides traduisent une nouvelle manière de voir la société, en terme de fin attendue des conflits. Elles sous entendent :

– la recherche de la paix comme unique horizon : répondant à la fatigue du fanatisme partout présent au XX° siècle, fanatisme suscité par la multiplicité des croyances. On pouvait dire : fiat justitia pereat mundus, on pouvait dire : que le monde périsse, pourvu qu’il nous reste la classe pure ou la race pure, au moins on ne peut plus dire : que le monde périsse, pourvu qu’il nous reste la paix, ce serait contradictoire dans les termes.

– des sociétés marquées par le soin exclusif de la vie quotidienne, qui se négocie toujours, et probablement la gouvernance indique-t-elle des sociétés corporatistes ou « organiques », communautaires selon les adeptes de la philosophie pragmatiste qui se trouve à la pointe de ces changements de mentalité.

– la fin des idéologies, certes, mais plus encore : la fin des visions du monde pluralistes au sens de la fin des croyances en des « vérités » plurielles.

Le consensus, qui remplace l’attente d’un monde meilleur par la recherche permanente de la paix, enferme le monde social en lui-même et par là nous sort de la flèche du temps. La vie morale sans recherche de vérité nous replace dans le monde de la sagesse qui avait cours avant les monothéismes et qui a cours dans toutes les civilisations hors la nôtre. C’est là un changement de monde tel que Freund n’a pu le prévoir. Cela ne remet pas en cause sa pensée, selon laquelle le monde politique s’enracine dans le conflit, et selon laquelle le conflit demeure essentiel à l’humain, parce que les tragiques questions humaines sont médiatisées par de multiples cultures. Car même dans les sociétés structurées par des sagesses, les conflits surviennent pour des raisons de territoires ou de puissance, hors les conflits religieux ou idéologiques inexistants. C’est dire que dans l’avenir, les combats idéologiques ont toute chance d’être remplacés, non par la paix consensuelle qui est encore une utopie, mais par des conflits d’identités : la fin des « vérités » de représentation (liberté, justice, droits de l’homme), engendrera le retour des « vérités » d’être (patries, tribus).

Il n’en reste pas moins que cette tentative nouvelle pour biffer les conflits était difficile à prévoir dans la seconde moitié du XX° siècle, même si les appels étaient fréquents dès après-guerre à la féminisation du monde (Giono, Camus, Gary) qui en est un signe avant-coureur. Freund se situe dans un monde dominé par les idéologies, qu’il récuse, et dans la vision du temps fléché, qui lui inspire l’idéal d’une paix toute kantienne (s’agissant du dernier Kant). La rupture dans laquelle nous sommes se produit juste après lui. Nous aimerions qu’il soit encore là pour analyser cet aspect du post-moderne qu’il n’a pas pu voir.

lundi, 03 février 2020

Pour lire et relire Julien Freund

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Pour lire et relire Julien Freund

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Né le 9 janvier 1921 dans une famille nombreuse d’origine ouvrière et paysanne présente dans la commune lorraine de Henridorff en Moselle et décédé le 10 septembre 1993 à Colmar, Julien Freund appartient aux grands penseurs du politique, ce politique qu’il étudia dans une thèse dirigée par Raymond Aron, soutenue en 1965 et parue sous le titre de L’Essence du politique.

freund-politique.jpgD’abord instituteur pour pallier la disparition brutale de son père, le germanophone Julien Freund se retrouve otage des Allemands en juillet 1940 avant de poursuivre ses études à l’Université de Strasbourg repliée à Clermond-Ferrand. Il entre dès janvier 1941 en résistance dans le réseau Libération, puis dans les Groupes francs de combat de Jacques Renouvin. Arrêté en juin 1942, il est détenu dans la forteresse de Sisteron d’où il s’évade deux ans plus tard. Il rejoint alors un maquis FTP (Francs-tireurs et partisans) de la Drôme. Il y découvre l’endoctrinement communiste et la bassesse humaine.

Après-guerre, il milite un temps à l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance), une petite formation charnière de centre-gauche de la IVe République, et au SNES (Syndicat national de l’enseignement secondaire). Il s’intéresse à la philosophie et en particulier à Aristote. C’est au début des années 1950 qu’il découvre le décisionnisme de Carl Schmitt. Las de l’instabilité gouvernementale, il se félicite du retour au pouvoir du Général De Gaulle en 1958 et approuve la Ve République dont il estime les institutions adaptées au caractère polémologique du politique français.

Philosophe, Julien Freund est aussi sociologue, politologue et, avec Gaston Bouthoul, polémologue, c’est-à-dire analyste du conflit. Dans La Décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine (Sirey, 1984), il considère en effet qu’il faut « savoir envisager le pire pour empêcher que celui-ci ne se produise (p. 386) ». Son tempérament bien trempé, son goût pour la provocation et son refus de déménager à Paris sans oublier une vive hostilité au gauchisme culturel le marginalisent au sein de l’univers feutré et guindé de l’enseignement supérieur. Il prend d’ailleurs sa retraite anticipée dès 1979 à l’âge de 58 ans. Il profite du village alsacien de Villé.

Il collabore à Éléments et à Nouvelle École, et participe à plusieurs colloques du GRECE et du Club de l’Horloge dont il est l’un des douze maîtres à penser. En préface de L’impératif du renouveau. Les enjeux de demain (Albatros, 1983) de Bruno Mégret et des Comités d’Action républicaine, il avoue que « par profession et par goût je suis amoureux des idées, mais je déteste les flatteries de l’intellectualisme, égaré dans les abstractions et les fictions superficielles (p. 7) ». Cette attitude le distingue de ses mornes collègues. Il écrit avec une ironie certaine en préface de son essai de 1970, Le Nouvel Âge. Éléments pour une théorie de la démocratie et de la paix (Marcel Rivière et Cie, coll. « Études sur le devenir social ») : « Je suis un réactionnaire de gauche (p. 9). » Il ajoute plus loin qu’« en réalité, les notions de droite et de gauche me sont devenues indifférentes; ce sont des catégories dans lesquelles je ne pense pas politiquement (idem) ».

Dans L’Aventure du politique. Entretiens avec Charles Blanchet (Critérion, 1991), ce catholique au chef toujours couvert d’un béret, se proclame « Français, gaulliste, européen et régionaliste ». Favorable à la réconciliation franco-allemande, il s’oppose néanmoins à la CED entre 1952 et 1954 avant de le regretter bien plus tard parce que, sans communauté militaire européenne effective, le projet continental perd toute consistance réelle. D’ailleurs, s’interroge-t-il dans La fin de la Renaissance (PUF, coll. « La politique éclatée », 1980), « les Européens seraient-ils même encore capables de mener une guerre ? (p. 7) » Il ne le pense pas, car « nous ne sommes pas simplement plongés dans une crise prolongée, prévient-il encore dans ce même ouvrage, mais en présence d’un terme, du dénouement d’un règne qui s’achève; un âge historique, celui de la Renaissance, est en train de se désagréger. L’Europe est désormais impuissante à assumer le destin qui fut le sien durant des siècles. Nous assistons à la fin de la première civilisation de caractère universel que le monde ait connue (p. 8) ». Un an auparavant, sa préface de L’impératif du renouveau exprimait son inquiétude lucide : « L’Europe est recroquevillée sur ses frontières géographiques, n’ayant guère plus d’autre puissance que sur elle-même, encore qu’il subsiste des vestiges de son ancienne grandeur. Elle a juste eu le temps de mettre en route la technologie moderne, mais l’exploitation lui échappe. Par rapport à ce qu’elle fut il y a à peine une cinquantaine d’années, elle est en déclin. Elle n’échappe pas aux vicissitudes historiques qui ont frappé toutes les civilisations, en dépit des progrès accomplis par chacune. C’est dans ce contexte de décadence que la France et l’Europe sont appelées à opérer leur renouveau. Elles ne pourront conjurer cette menace et réaliser leur redressement qu’à la condition d’assumer pleinement la situation actuelle, sans se perdre dans les rêveries prophétiques, utopiques ou nostalgiques.

1533951443_9782130377764_v100.jpgLa politique se fait sur le terrain, et non dans les divagations spéculatives (p. 13). » Il relève dans son étude remarquable sur la notion de décadence que « si les civilisations ne se valent pas, c’est que chacune repose sur une hiérarchie des valeurs qui lui est propre et qui est la résultante d’options plus ou moins conscientes concernant les investissements capables de stimuler leur énergie. Cette hiérarchie conditionne donc l’originalité de chaque civilisation. Reniant leur passé, les Européens se sont laissés imposer, par leurs intellectuels, l’idée que leur civilisation n’était sous aucun rapport supérieure aux autres et même qu’ils devraient battre leur coulpe pour avoir inventé le capitalisme, l’impérialisme, la bombe thermonucléaire, etc. Une fausse interprétation de la notion de tolérance a largement contribué à cette culpabilisation. En effet, ni les idées, ni les valeurs ne sont tolérantes. Refusant de reconnaître leur originalité, les Européens n’adhèrent plus aux valeurs dont ils sont porteurs, de sorte qu’ils sont en train de perdre l’esprit de leur culture et le dynamisme qui en découle. Si encore ils ne faisaient que récuser leurs philosophies du passé, mais ils sont en train d’étouffer le sens de la philosophie qu’ils ont développée durant des siècles. La confusion des valeurs et la crise spirituelle qui en est la conséquence en sont le pitoyable témoignage. L’égalitarisme ambiant les conduit jusqu’à oublier que la hiérarchie est consubstantielle à l’idée même de valeur (p. 364) ».

Ce conservateur libéral mécontent attaché au primat du régalien avance encore dans La fin de la Renaissance qu’« une civilisation décadente n’a plus d’autre projet que celui de se conserver (p. 22) ». Cette sentence réaliste explique le relatif effacement de son œuvre. Non réédités, ses ouvrages sont maintenant très difficiles à trouver chez les bouquinistes tandis que plusieurs manuscrits inédits attendent toujours quelques hardis éditeurs. Cette éclipse éditoriale contraste avec l’audience croissante de ses textes dans le monde hispanophone, dans le domaine germanophone, en Russie et chez les Anglo-Saxons. La découverte de Julien Freund à l’étranger coïncide avec la traduction soutenue des écrits de Carl Schmitt, y compris en Chine, en Corée et au Japon !

Par une franche liberté de ton, Julien Freund demeure un homme non seulement « mal-pensant », mais surtout intempestif, car « la vie est fondamentalement différenciation concrète et non universalisation abstraite (préface à L’impératif du renouveau, p. 7). Il avait deviné que le « festivisme » dépeint par Philippe Muray aboutirait à une nouvelle tyrannie postmoderniste. « Quand la transgression n’est plus occasionnelle mais devient un usage courant, ce qui s’accompagne en général d’une augmentation constante des effectifs de la police, on risque de péricliter insensiblement dans un État policier (La Décadence, p. 4). » Lire Julien Freund, c’est pouvoir aiguiser son intellect afin de mieux lutter contre le conformisme ambiant.

Georges Feltin-Tracol

• Chronique n° 32, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 28 janvier 2020 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.

samedi, 25 janvier 2020

Carl Schmitt and Leo Strauss in the Chinese-Speaking World

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Carl Schmitt and Leo Strauss in the Chinese-Speaking World

by Dongxian Jiang

 Ex: https://www.voegelinview.com

Carl Schmitt and Leo Strauss in the Chinese-Speaking World: Reorienting the Political, Kai Marchal and Carl K.Y. Shaw, eds. Lanham, Lexington Books, 2017.

51SaQUAXfmL._SX331_BO1204203200_-e1527628158686.jpgCarl Schmitt and Leo Strauss are extremely popular in China, especially in Mainland China—this is no longer a secret in the Western academia. As early as 2003, Stanley Rosen had already told the Boston Globe that “A very, very significant circle of Strauss admirers has sprung up, of all places, China.”[1] Then, in 2010, Mark Lilla, after returning from a visit to Chinese universities, published a widely-circulated article in the New Republic, reporting that there was a “strange taste in Western philosophers” among Chinese scholars and college students, i.e. their strange obsession with Leo Strauss and Carl Schmitt.[2] A 2015 article published on “The China Story” website by Flora Sapio further described the reception of Carl Schmitt by China’s New Left intellectuals and showed the author’s concern with the potential danger of Schmitt’s legal and political theory.[3] Schmitt and Strauss have become philosophical and political stars in China is well-known in the Western world. The question that still puzzles people is—Why?

It is in line with this growing visibility of China’s “Schmitt-Strauss fever” that Kai Marchal and Carl K.Y. Shaw edited this current volume on Carl Schmitt and Leo Strauss in the Chinese-speaking World, a long-waited contribution to the decoding of and engagement with this enigmatic intellectual phenomenon. The greatest virtue of this volume is, as the two editors say in the Introduction, that “while individual authors may differ in their evaluation of the nature of this reception and its possible implications,” they all agree that this intellectual phenomenon should be treated in a serious way (p. 13). Taken as a whole, this volume is currently the most in-depth discussion in the entire world of the Chinese receptions of Schmitt and Strauss, and should be recommended to anyone who is interested in Chinese intellectual history in the post-Mao era.

Readers who are intrigued by the Schmitt-Strauss fever in the Sinophone world would naturally ask three questions, and they expect that this volume would answer them from different angles. First, why are Schmitt and Strauss so popular in China (the “Why” question)? Second, how do Chinese intellectuals use Schmitt’s and Strauss’s political thought to participate in China’s political debates? And third, how can liberals respond to these Chinese Schmittians and Straussians, if they are using Schmitt’s and Strauss’s “illiberal” thought to express their discontent with the Western modernity? The contributors in this volume aim to do all these jobs, but as I shall demonstrate, several drawbacks of the book might have made it unsuccessful to fulfill readers’ expectations. Specifically, I shall argue, while the volume contains detailed answers to the second question, it does not provide persuasive and sufficient accounts of the “Why” question. In addition, though the volume aims to engage with the Chinese Schmittians and Straussians, the strategies that some contributors use may not be promising in the Chinese context.

As a book dealing with the Chinese reception of Schmitt and Strauss, several chapters are devoted to the analysis of the writings of Chinese Schmittians and Straussians, with a focus on how they use Schmitt’s and Strauss’s ideas to address distinctively Chinese issues. The chapters by Shaw, Marchal and Nadon are especially helpful for readers to know who the Schmittians and Straussians are in China and how they are politically motivated to invoke Schmitt’s and Strauss’s authorities. These close analyses, based on first-hand textual evidence, provide solid bases for the contributors in this volume to engage with the Chinese thinkers, and to show what they are getting right and where they are going wrong.

In terms of the historical accounts of China’s reception of Schmitt and Strauss, contributors have made significant efforts in reconstructing the historical context of China’s post-Mao period and in explaining why certain Schmittian and Straussian ideas have resonance in this particular circumstance. For example, Shaw is very successful in providing “a contextual and immanent analysis which demonstrates the rationale of the receptions, the inner logic of the theoretical reconstructions, and their relevance for contemporary Chinese intellectual debates” (p. 40). Similarly, Charlotte Kroll reconstructs the legal and political issues that Chinese intellectuals cared about when Schmitt was introduced, and connects Schmitt fever with what Jan-Werner Mueller calls “Schmitt’s globalization” in the 1990s. Before unfolding his engagement with and critique of Liu Xiaofeng’s interpretation and application of Strauss’s political thought in the Chinese context, Marchal presents an overview of the intellectual trajectories of China’s leading Straussians and briefly explains why Strauss is attractive to scholars who are concerned with the “nihilism” issue in the post-Maoist China.

However, as the Schmitt-Strauss fever is the most enigmatic, even “strange” intellectual phenomenon in contemporary China, this volume should have devoted more efforts to the investigations into the “Why” question. A reasonable account of this phenomenon must answer 1) why it is in this particular historical moment that Schmitt and Strauss become authoritative for many Chinese intellectuals, and 2) why it is Schmitt and Strauss, not other critics of Western modernity and liberal democracy, that especially attract the attentions of Chinese intellectuals. In the 1980s and 90s, for example, one of the most fashionable things to do among China’s leading intellectuals was to discuss Nietzsche, Heidegger, Sartre, and Foucault. Why these critics of modernity and liberal democracy, either from the Left or the Right, did not trigger a similar wave of anti-liberalism in China is a question that all scholars interested in Chinese political thought should painstakingly think about. Therefore, a contextualized account of the Schmitt-Strauss fever is not complete if there lacks a comprehensive investigation of China’s reception of Western thought in general, and of China’s reception of anti-Enlightenment and illiberal thought in particular. This, I admit, is not an easy task, but is worth doing if we really take the Schmitt-Strauss fever in China seriously.

Another thing that this volume should have done is an excavation of the pre-Schmittian and pre-Straussian writings of intellectuals like Liu Xiaofeng and Gan Yang, to name a few, because these writings may provide some clues for explaining their intellectual transformations. Contributors like Marchal and Nadon have mentioned that Liu and Gan were not Schmittians and Straussians from the very beginning of their academic lives, but what they have not fully elaborated is that these two figures were active liberals before encountering Schmitt and Strauss. In the 1980s and early 90s, Liu was a “cultural Christian” advocating for China’s radical transformation from “traditional culture” to Christianity, but his political position was by and large liberal. Gan asked Confucianism to modernize itself in order to embrace modern values such as individual rights, equality, pluralism, and democracy. Before their encounter with Schmitt and Strauss, they were obsessed by various “illiberal” or “anti-liberal” philosophers in the West, such as Nietzsche, Heidegger and Sartre, but this obsession did not prevent them from appreciating Berlin, Habermas and Rawls. Just one year before Liu Xiaofeng’s open conversion to Strauss’s political thought and his embrace of illiberalism, he was using public reason liberalism to criticize Charles Taylor and his Chinese followers who wanted to use communitarian insights to fight for the Confucian causes.

After his Straussian turn, however, Liu has been increasingly intolerant of liberal political theory, thinking that a return to the “classical mentality” is incompatible with the pursuit of liberal reform in China. A detailed description of Liu’s “liberal years” may make his sudden but whole-hearted conversion to Schmitt and Strauss more enigmatic, but may also provide hints about whether his particular and idiosyncratic conception of liberalism actually paved way for his later conversion to anti-liberalism. For example, a close reading of his early works shows that the pursuit of an “absolute value” is a constant theme in his liberal years, and that his discomfort with value pluralism to some extent foreshadows his embrace of Strauss’s political thought.

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The absence of detailed and sound explanations of the Schmitt-Strauss fever may be remedied if the Chinese Schmittians and Straussians in this volume could take this opportunity to explain why they think that China needs Schmitt and Strauss for imagining its political future. Readers may have the expectation to look for direct articulations and defenses of their motivations for invoking the authority of Schmitt and Strauss. The volume contains three articles written by Mainland Chinese and Taiwanese scholars who are sympathetic toward Schmitt and Strauss.

Among them, however, only Chuan-Wei Hu’s is a straightforward defense of Strauss in the Taiwanese context and an articulation of why Strauss matters for Taiwan’s democracy. The other two “Mainland” pieces, surprisingly, refrain from providing any direct answers to the “Why” question, and thus miss the opportunity for Mainland Chinese Schmittians and Straussians to make a case for themselves. Han Liu’s chapter, which argues that the global diffusion of constitutionalism and judicial guardianship is a bad thing, does not provide any positive proposals for China to design an alternative legal system in accordance with Schmittian insights, despite his merely one-paragraph assertion that “China should pay attention to its own political culture, however defined, to ground a firm constitutional authority” (pp. 134-5).

The chapter by Jianhong Chen, a leading Mainland Straussian, provides an excellent reinterpretation of Strauss’s political thought, and he argues, against various Western scholars, that Strauss should not be understood as a conservative thinker merely defending the status quo, because political philosophy as Strauss understands is still a radical “negation” of actual politics, thus preserving a utopian and normative dimension. By claiming that Heinrich Meier’s interpretation of Strauss is a myth (pp. 197-8), Chen hints that Liu Xiaofeng’s reception of Strauss might also be mistaken, because Liu encountered Strauss largely through Meier’s secondary literature. But, again, Chen does not elaborate the possible implications of his understanding of Strauss, such as whether Strauss can be used in a way to challenge the political status quo in China. If readers who are not able to read Chinese want to understand why Schmitt and Strauss are important for China from an indigenous perspective, they can read Wang Tao’s article published in the Claremont Review of Books, in which he provides an explanation and justification of China’s reverence for Strauss.[4]

Lastly, the most significant accomplishment that this volume has achieved is a theoretical engagement with the Chinese Schmittians and Straussians. The contributors believe that this wave of anti-liberalism in China inspired by Schmitt and Strauss should be taken seriously, and this volume is a valuable addition to the intercultural conversation in the burgeoning field of comparative political theory. Chapters written by Shaw, Wenning, Nadon and Marchal are recommended for readers who are looking for evaluations of the Schmitt-Strauss fever. Among these four chapters, Shaw and Marchal are generally critical of the Chinese Straussians, arguing that they either fail to grasp Strauss’s true spirit or distort his key teachings. Wenning has a similar critical attitude toward Chinese Schmittians and claims that these scholars have not recognized the “internal complexity” (p. 82) of Schmitt’s thought. Based on his discussion of Schmitt’s later writings, to which few Schmitt scholars have paid adequate attention, Wenning shows how this underappreciated dimension of Schmitt’s political thought might have the potential to overcome the one-sidedness of the current Chinese reception of Schmitt. In contrast, Nadon provides the most positive evaluation of the Chinese reception of Strauss, and contends that Liu Xiaofeng may ultimately “articulate a new and inspiring vision of what Chinese civilization could be” (p. 12).

A theme that unifies many contributors in this volume is their worry that some leading Chinese intellectuals in this fever, most notably Liu Xiaofeng, have an extremely hostile attitude toward liberalism and liberal democracy. While their discontent with Western cultural hegemony should be sympathized, contributors still feel that liberalism as a universal value should be defended in the Chinese context. As Marchal and Wenning have exemplified, one strategy to criticize Chinese Schmittians and Straussians is to show that they are misinterpreting Strauss and neglecting the internal richness of Schmitt. However, I wonder whether this is a promising strategy for engaging with these anti-liberal scholars.

Take Marchal’s chapter as an example, the underlying logic of his strategy is that if Chinese intellectuals get Strauss correctly, then they should have used Strauss for different purposes, rather than merely justifying China’s particular tradition and extant authoritarian regime. Based on his comparison of Strauss and Liu Xiaofeng, he argues that Liu’s use of Strauss “leads to a number of fundamental distortions” of Strauss’s claims in On Tyranny, that “instead of having discerned Strauss’s esoteric messages, Liu may thus have misunderstood his teacher” (p. 184), and that “Liu Xiaofeng’s project is being played out according to a very different agenda than Strauss’s original project,” which Strauss “likely never anticipated” (p. 181). In a word, “It is quite remarkable that the Chinese Straussian Liu Xiaofeng can relate to Strauss’s critique of liberal democracy without further ado in a non-liberal, non-democratic society (which China undoubtedly still is)” (p. 186).

However, what makes Marchal’s comparison of Strauss and Liu problematic is that he applies a double standard when interpreting Strauss’s and Liu’s works respectively. In terms of Strauss, Marchal is fully aware that his works are notoriously enigmatic, and recognizes that reconstructing a “real Strauss” is extremely difficult, so he carefully chooses what he thinks the “more convincing and theoretically plausible” secondary literature, and based on these, provides a charitable reading of Strauss’s political philosophy, i.e., Strauss as an eternal sceptic and critical friend of liberal democracy. When it comes to Liu, he chooses Liu’s most “Straussian book” to date, Republic and Statecraft, as a target for criticism, because he thinks that Liu misapplies Strauss’s teachings in On Tyranny in this book. However, the problem with his reading of Liu is that he does not attempt to use the same method to decode Strauss’s and Liu’s writings, thus making his understanding of Liu dubious and uncharitable.

As Liu himself claims in the afterword of this book, Republic and Statecraft is an expansion of his reading notes of Xiong Shili’s lengthy letter to Mao Zedong.[5] In this book, there is no place where Liu openly articulates his own positions, and, like Strauss, he hides his own ideas behind his textual analysis of Xiong’s letter. Xiong was a well-known New Confucian philosopher in twentieth century China who claimed that modern values such as equality and democracy could be interpreted from the Confucian canons. When the CCP came to power in 1949, Xiong decided to stay in the Mainland, and wrote a series of letters to Mao to make a plea for the protection of China’s traditional culture by arguing that the revolutionary spirit was compatible with Confucianism. In one letter, Xiong expressed his admiration of Mao by claiming that Mao was a modern reincarnation of the ancient sage-king, and that his authoritarian rule was necessary for China to realize freedom and democracy. Liu finds this letter extremely interesting, and uses a Straussian hermeneutics to interpret Xiong’s thought.

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Marchal is aware that Liu is practicing Straussian hermeneutics in this book, but surprisingly, he unreflectively presumes that Liu affirms and praises Xiong’s ideas. Without presenting any quotations from this book, Marchal argues that “[Liu’s] argumentation in Republic and Statecraft strongly suggests that Liu regards Xiong Shili’s attempt to ground Mao’s revolution in the horizon of traditional Chinese culture as meaningful” (p. 188). It is true that Liu does admire Mao in recent years, but this does not necessarily mean that Liu expresses his admiration in a way similar to Xiong’s. His other Straussian writings show his disapproval of the attempt in the twentieth century to develop modern values from within the Confucian tradition, because the Straussian teaching of “transcending the modern horizon” inspires him to praise classical Confucianism, in which, according to him, moral and political hierarchy is the core of the authentic Confucian spirit. As Xiong belongs to the New Confucian school and speaks highly of equality and democracy, it is highly probable that Liu, in his Republic and Statecraft, fundamentally disagrees with Xiong’s ideas. Therefore, while reading Strauss in a charitable way, Marchal to a large degree provides an uncharitable reading of Liu. This double standard fatally discredits his claim that Liu distorts Strauss’s thought, as Liu may easily retort that Marchal is distorting Liu’s thought in the first place.

However, even if Marchal could distribute his charity evenly to Strauss and Liu, the effectiveness of his strategy in combating Chinese anti-liberalism is still doubtful. After all, to what extent is Liu distorting Strauss is a highly contestable issue, as Strauss himself is an extremely enigmatic political thinker. For Marchal, the “real Strauss” he identifies is a Strauss constantly skeptical about Western modernity but never attempts to offer any positive account of a radical alternative, not to mention actively pursues such an alternative in political actions (p. 176). In contrast, Liu distorts Strauss in the sense that he wants to craft a concrete alternative based on the Chinese tradition, and tends to put this project into action.

Were Marchal to do a close analysis of Liu’s interpretations of Strauss, he would quickly find that Liu is almost familiar with Strauss’s entire corpus, and it is extremely difficult to claim that Liu distorts Strauss without going through all his quotations of Strauss’s original texts. In particular, what Marchal does not mention in this chapter is that Liu is especially interested in Strauss’s “theologico-political predicament,” i.e., the tension between the philosopher and the political society. According to Strauss, it is the philosopher’s virtue to constrain its eagerness to challenge the conventions, customs, moral codes, religions, superstitions, laws, and political authorities of the political society, because a replacement of these nomoi with pure reason will lead to the very disintegration of the political society. Therefore, the philosopher should uphold and gently improve the nomoi in his exoteric teachings, while conceal his true philosophical teachings in his esoteric writings.

What Liu takes from Strauss is that a philosopher in the Chinese context should do the same thing, but this leads him to protect the extant values and political authority which Chinese people have inherited from the ancient times, against the encroachment of Enlightenment thought from the modern West. Liu’s construction of the Chinese nomoi might be wrong and politically motivated, as Marchal shows in his chapter, but this does not mean that Liu’s understanding of Strauss per se is also mistaken. After all, Strauss never anticipated that his thought would be applied someday in a non-Western society, so he did not set a rule for approvable applications, despite his criticism of totalitarianism and communism. Therefore, instead of “distorting” Strauss, one might say that Liu is “extending” Strauss in the Chinese context.

Therefore, if Marchal really wants to criticize Chinese Straussianism and defend liberal principles, his call for a correct understanding and application of Strauss in Mainland China may not work well. Even if there is a correct understanding of Strauss, the application of Strauss might be “beyond right and wrong,” and Marchal actually accepts that “[Strauss’s] writings encourage alternative readings in the context of non-Western intellectual traditions” (p. 174). In the “Conclusion” of his chapter, Marchal hopes that “it may be possible that other forms of Chinese Straussianism may preserve a genuinely critical, zetetic force,” a “more balanced understanding of the cultural differences between East and West,” and a less nationalist defense of the authoritarian regime (p. 191).

However, if Marchal really wants to achieve these goals and give liberalism a try in China, one may wonder whether Strauss is the “Mr Right”—Why not drop Strauss and resort to other liberal thinkers in the West for intellectual resources? After all, as primarily a critic of modernity and liberal democracy, Strauss not only upsets liberals in China but also liberals in the Western world. His mystical genre and his unwillingness to engage in public dialogues make him unfit for defending liberalism, let alone defending liberalism in the Chinese context. As the prospect of liberalism in China has been increasingly bleak in recent years, the need for a straightforward defense of basic liberal principles is needed. Building a liberal-friendly team of Straussianism in China as Marchal hopes is not impossible if some scholars can do what American Straussians did after 2001, i.e., defending Strauss while reconciling him with liberal democracy, but people caring about the future of Chinese liberalism may wonder whether Strauss is really an indispensable intellectual authority at all. After all, why should liberals play the game whose rules are one-sidedly settled by their rivals, instead of opening a new field to play?

Finally, at the end of my review, I should point out that even if the volume offers a variety of insights, it should have had some stylistic improvements for readers to have a better reading experience. Key arguments should be presented clearly in the beginning of each chapter, and convoluted expressions should be avoided. Therefore, readers interested in the Chinese reception of Schmitt and Strauss can start from this volume, but they have good reasons to wait for better works on this subject to be done.

Notes

[1] Jeet Heer, “The Philosopher the Late Leo Strauss has Emerged as the Thinker of the Moment in Washington, but His Ideas Remain Mysterious. Was He an Ardent Opponent of Tyranny, or an Apologist for the Abuse of Power?” Boston Globe, May 11, 2003.

[2] Mark Lilla, “Reading Strauss in Beijing,” New Republic, 2010, http://www.newrepublic.com/article/magazine/79747/reading-leo-strauss-in-beijing-china-marx#, accessed March 19, 2014.

[3] Flora Sapio, “Carl Schmitt in China,” The China Story, Oct 7, 2015, https://www.thechinastory.org/2015/10/carl-schmitt-in-china/, accessed March 31, 2018.

[4] Wang Tao, “Leo Strauss in China,” Claremont Review of Books, Spring 2012, accessed March 19, 2014, http://www.claremont.org/publications/crb/id.1955/article_detail.asp.

[5] Liu Xiaofeng, Gonghe yu jinglun 共和与经纶 (Republic and Statecraft), Beijing, Sanlian chubanshe, 2012, 303-4.

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Dongxian Jiang

Dongxian Jiang is a Ph.D. Candidate in Political Theory at Princeton University where he is also the Laurance S. Rockefeller Graduate Prize Fellow at Princeton’s University Center for Human Values. He is working on a dissertation justifying liberal principles in the Chinese context.

vendredi, 24 janvier 2020

Le premier Carl Schmitt

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Le premier Carl Schmitt

En cette rentrée où nous n’avons pas beaucoup de traductions de grands textes de sciences sociales à nous mettre sous la dent, on peut se réjouir que les Éditions de l’EHESS nous offrent l’accès à un texte clé d’un auteur dont le soupçon qui l’entoure, à juste titre au vu de son engagement nazi, nous fait trop oublier qu’il a été un très grand juriste : Carl Schmitt, qui publia Loi et jugement en 1912.


Carl Schmitt, Loi et jugement. Une enquête sur le problème de la pratique du droit. Trad. de l’allemand et présenté par Rainer Maria Kiesow. EHESS, 167 p., 22 €


Loi-et-jugement.jpgDe l’œuvre proprement juridique du jeune Carl Schmitt, disons de celle d’avant 1933, nous possédons en français Théorie de la constitution (1928, PUF 1993), La valeur de l’État et la signification de l’individu (1914, Droz 2003), mais il nous manquait jusqu’aujourd’hui un petit ouvrage de 1912 intitulé Loi et jugement, qu’Olivier Beaud, dans sa préface à l’édition française de Théorie de la constitution, qualifie de « véritable recherche de théorie du droit abordant les questions les plus fondamentales ».

Carl Schmitt a vingt-trois ans en 1912 et ce qui fascine dans ce texte, de jeunesse mais déjà très maîtrisé, c’est, avec la rigueur du questionnement, le souci constant d’éviter l’amalgame, la confusion et le malentendu ; l’éclairage qu’il jette sur la notion de décision telle que l’entendra l’auteur de la Théologie politique tout au long de sa vie. Rééditant Gesetz und Urteil en 1969, Carl Schmitt met lui-même en perspective son travail, en souligne les enjeux pour la pratique du droit d’abord, et laisse entendre toutes les conséquences que « l’autonomie de la décision », qu’il cherche à dégager, peut avoir sur la doctrine de l’État et de la souveraineté. Et il prévient qu’une « polémique farouche » a voulu travestir sa conception de la décision en « un acte fantastique de l’arbitraire ». Nous voilà avertis : si nous voulons évaluer l’œuvre de Schmitt, nous ne pouvons pas nous priver de lire Loi et jugement, car s’y trouve le « sens originel » dans sa « simplicité » de ce que signifie décider.

Alors que fleurissent les doctrines du droit dans le monde germanique de l’époque, mais aussi dans l’ensemble de l’Europe, Schmitt s’intéresse à la pratique. Mais il ne va pas le faire en sociologue, sa confrontation avec Marx et Weber n’a pas encore eu lieu, encore moins en psychologue – sans cesse dans l’ouvrage, Schmitt cherche à se démarquer de la psychologie et en particulier de celle du juge –, mais en restant à l’intérieur du droit, cherchant à élaborer une sorte de théorie de la pratique du droit possédant – l’auteur tient à éviter le terme d’autonomie – un « critère autochtone » par rapport au théorique. Hans Kelsen, le père de la Théorie pure du droit, n’a encore publié en 1912 que ses Problèmes fondamentaux de la doctrine du droit constitutionnel, mais il représente déjà le positivisme normatif que Schmitt s’emploie à disqualifier.

Le point de départ est une question (bien entendu elle-même « décisive », puisqu’elle décide déjà de ce qu’est l’ordre juridique ; en même temps, comme le dit Schmitt dans son avant-propos, elle « est décidée » par la pratique) : « quand une décision judiciaire est-elle correcte ? ». Commence alors un extraordinaire cernement de la question qui rappelle la méthode débouchant sur la définition du critère, et donc de l’essence, pour Schmitt, du politique. Ce n’est ni le comment on décide, ni les statistiques de décisions correctes, ni les diverses opinions sur leur correction ; la question n’interroge pas non plus l’histoire de la pratique, ni l’évolution historique des idéaux, mais « le critère de rectitude qui est spécifique à la pratique du droit ».

Une fois ce que l’on recherche déterminé, Schmitt se livre à la réfutation de différentes thèses : celle de la rectitude d’une décision par sa « conformité à la loi » ou à la « volonté du législateur » qui au mieux transforme le jugement en opération logique (« logicisme de la justice ») de subsomption du cas particulier sous la norme générale, au pire réduit le juge à un « automate ». De ce point de vue, Schmitt se démarque aussi bien de l’herméneutique jurisprudentielle, identifiant interprétation correcte et décision correcte, que du mouvement connu sous le nom d’« école libre du droit » (Freirechtsschule) qui cherchait à élargir de manière extra-juridique (jugements moraux, culture) le concept de loi et de norme et auquel Schmitt reproche d’être incapable à la fin de dégager un critère de rectitude autre que celui du normativisme juridique (la conformité à la loi).

Pour découvrir ce critère de rectitude spécifique, il faut d’abord bien distinguer la doctrine du droit et la pratique du droit, ce que Schmitt appelle sa « détermination » (Rechtsbestimmtheit ; à ce point central du texte, le traducteur fait opportunément remarquer que le terme de Besttimmtheit vient de la logique de Hegel, mais il ne va pas malheureusement plus loin dans son commentaire), autrement dit le moment où le juge statue sur un cas, dit le droit (iurisdictio ou iurisfactio), énonce, en le créant ainsi dans sa détermination hic et nunc, le to dikaion (le juste). Le résultat de cette opération ne peut être déduit, son caractère aléatoire et risqué ne peut être effacé. La motivation du jugement ne peut se superposer parfaitement à la décision. La pratique découvre là son autonomie, le droit statué n’existe pas avant le jugement, comme une pure et simple application. Il est produit. Ce qui ne fait pas pour autant du juge un législateur.

À la fin, quel est ce critère de rectitude appartenant de « manière autochtone à la pratique du droit » ? Une décision judiciaire est correcte si « l’on peut admettre qu’un autre juge aurait décidé de la même manière ». C’est ici que le décisionnisme du jeune Schmitt, mais il nous a prévenus que la polémique ultérieure avait défiguré son concept, doit devenir l’objet de toutes les attentions. Invoquer « l’autre juge », c’est introduire une collégialité, la position collective de gens de métier ; au-delà, c’est faire appel à une sorte de sensus judiciarii d’une société, d’une époque, bref, c’est réintroduire l’histoire et la sociologie, là où pourtant Schmitt voulait les écarter.

Mais introduire le tiers, c’est aussi consacrer un mouvement constant dans l’histoire moderne du droit, celui de la hiérarchisation des juridictions et de la complexité des relations entre les différentes cours. Surtout, en appeler à « l’autre juge » consiste à circonscrire le jugement dans la « prévisibilité » et la « calculabilité », même dans le cas où un jugement serait rendu contra legem. Ceux qui ont lu Derrida, et le Derrida lecteur de Schmitt pour qui l’expression schmittienne de « décision calculable » serait un oxymore, seront surpris par cette reprise (en main ?) soudaine du concept de décision, tout à coup arraché à l’indétermination (et pour cause puisque Schmitt parle de « détermination du droit ») au risque, au saut, à l’incommensurabilité des motifs et de l’acte de jugement. Mais on comprend que tous ces points qui caractérisent la rectitude de la décision autorisent Schmitt à penser qu’ainsi il échappe au « fantastique de l’arbitraire ».

L’auteur d’Ex captivitate salus ne réécrit pas en 1969 son texte de 1912 sous le coup de la querelle. Encore une fois, il nous indique que sa réflexion sur l’autonomie de la décision n’est pas restée sans conséquences sur la définition de la souveraineté étatique. En 1912, il cherche à isoler le propre de la pratique correcte du droit et veut en discerner le critère déterminant, et l’on découvre que ce n’est pas tant la décision qui l’intéresse que la mise au jour du degré d’autochtonie de la pratique du droit par rapport à la doctrine, et la définition de ce qu’est l’ordre juridique.

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Peut-on affirmer que Schmitt, pour le politique, va suivre le même cheminement, guidé par la même préoccupation ? Répondre à cette question permettrait, non pas d’oublier son engagement nazi, mais de savoir si nous pouvons conserver la recherche du critère du politique (sans conserver la différence ami/ennemi) sans forcément se focaliser sur la souveraineté (est souverain celui qui décide) mais au contraire, comme semble s’y essayer en ce moment même Bruno Latour, sur l’autonomie de la pratique politique.

jeudi, 23 janvier 2020

Pour un progressisme de droite

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Pour un progressisme de droite

Par Romain d’Aspremont,

auteur de « Penser l’Homme nouveau : Pourquoi la droite perd la bataille des idées »

Ex: http://www.rage-culture.com

Si la droite perd, c’est qu’elle évolue au sein d’un logiciel chrétien. Les sociétés occidentales sont fondamentalement marquées par la morale chrétienne ; il n’est pas étonnant que l’idéologie gauchiste s’y épanouisse – et, sur le temps, ne cesse de gagner du terrain – tandis que les droitistes doivent perpétuellement batailler pour paraître fréquentables. C’est le principe même du Bien qui doit basculer de l’égalitarisme vers l’élitisme, et du pacifisme vers la compétition et la lutte.

41-KRsa2LPL.jpgLa seconde raison de la défaite perpétuelle de la droite, c’est son conservatisme. Les réaco-conservateurs assimilent trop souvent l’avenir à un déploiement inéluctable des forces progressistes. Ils en viennent à prendre l’objet (l’avenir) façonné par le sujet (la gauche) pour le sujet lui-même. Le futur étant devenu synonyme d’avancées « progressistes », l’unique remède ne pourrait être que son contraire – le passé – plutôt qu’un avenir alternatif. Or il y a là une forme de défaitisme, comme si la droite assimilait sa propre déconfiture, ratifiant le monopole de la gauche sur l’avenir. Puisque l’Histoire n’est qu’une longue série de victoires progressistes, c’est l’avenir lui-même qu’il faudrait brider, plutôt que les acteurs qui le façonnent. Ralentir le temps et sanctuariser certaines institutions apparaît alors comme la solution par défaut.

Cette analyse, plus ou moins consciente, est une variante de la croyance en un progrès linéaire : l’avenir n’est plus une irrésistible ascension, mais une lente décadence. Ainsi, tout en ridiculisant l’idée d’un « sens de l’Histoire », les réaco-conservateurs considèrent implicitement que le temps fait le jeu de la gauche. S’il leur arrive – du bout des lèvres – de se satisfaire d’une nouveauté, ils n’iront jamais jusqu’à batailler pour la faire advenir, non plus qu’ils ne mobiliseront leur énergie intellectuelle pour concevoir un nouveau « de droite ». Leurs forces sont toutes entières consacrées à faire l’éloge du passé. 

Le progressisme au sens strict repose sur des postulats infirmés par l’Histoire. Le pacifiste et le jouisseur finissent toujours par se soumettre au guerrier. Mais le conservatisme lui-même n’en repose pas moins sur des présupposés erronés, car les projets d’Homme nouveau, loin de se réduire à des utopies illusoires, sont un des moteurs de l’Histoire. 

 La posture d’un Schopenhauer, qui écrit « le progrès, c’est là votre chimère, il est du rêve du XIXème siècle comme la résurrection des morts était celui du Xème, chaque âge a le sien », n’est plus tenable. La véritable erreur, c’est de croire que les chimères sont sans prise sur le réel – surtout quand ces chimères peuplent les cerveaux des élites. Chaque époque a sa conception particulière du progrès, et ceux qui se refusent à proposer la leur doivent renoncer à écrire l’Histoire. De même, Nietzsche peut bien déclarer que le Progrès est « une idée fausse », il n’empêche que sa philosophie du surhomme est progressiste – progressiste de droite.

Notre ennemi ne doit pas être le progressisme au sens large, mais uniquement le progressisme de gauche. Non pas l’idée de progrès, mais la direction que veulent lui faire prendre nos adversaires. Car « l’idée de progrès constitue moins une idéologie que la présupposition de toutes les idéologies, systèmes de représentations et de croyances proprement modernes ». C’est pourquoi la droite doit développer son propre progressisme, qui doit viser la réunification de l’Occident (plutôt que la défense des Etats-nations) et encourager l’évolution anthropologique (plutôt que sanctifier la tradition). Par définition, le futur a toujours raison du passé. Aussi, le duel du Passé et de l’Avenir doit s’effacer au profit d’un choc entre un avenir de gauche et un avenir de droite.

Notre progressisme doit promouvoir une exigence de dépassement, sur tous les plans, y compris moral. Cette morale sera « vitaliste » : valorisant tout ce qui élève l’espèce et combattant ce qui la bride, l’affaiblit et la mutile. Appliquée aux débats sociétaux qui suscitent le plus de crispations, son verdict sera différent de celui des réaco-conservateurs. Ainsi, la PMA et la GPA sont souhaitables dans la mesure où elles élèvent le capital biologique et intellectuel des Occidentaux (ingénierie génétique).

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Romain d'Aspremont

Un progressisme de droite ne doit pas borner son horizon au domaine anthropologique (entreprise de création d’un homme nouveau) ; il doit l’étendre au domaine institutionnel et étatique. Faute de proposer une vision de l’Europe qui soit autre chose qu’un simple retour à l’ère gaullienne – « l’Europe des nations » – les souverainistes se privent du formidable potentiel mobilisateur propre à tout idéal nouveau. Philippe de Villiers explique que ceux qui ont affronté le traité de Maastricht ont cru combattre un super-État (une entité politique susceptible d’incarner une Europe-puissance, pesant en propre sur la scène internationale), pour ensuite découvrir que le projet européen n’a jamais été de bâtir les Etats-Unis d’Europe, mais de substituer l’économique (le marché) au politique.

En fait, les souverainistes ont bien fait de s’opposer à Maastricht, mais pour de mauvaises raisons. En effet, le dépassement des nations et l’unification de l’Europe ne sont pas des idées condamnables en soi ; elles méritent d’être évaluées à l’aune de l’idéal qui les porte. Le malheur n’est pas que l’Europe soit gouvernée par un « despotisme doux et éclairé » (Jacques Delors), mais que ce despotisme soit anti-européen dans l’âme. Or, par une ruse de l’Histoire, les Européistes nous ont offert le cadre institutionnel et administratif pouvant servir notre vision de l’Europe : plutôt que de détruire ces leviers de pouvoir, emparons-nous-en afin d’impulser une renaissance civilisationnelle, qui passe par la création des Etats-Unis d’Europe, puis des Etats-Unis d’Occident (Etats-Unis d’Amérique, Russie, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande compris).

Les souverainistes ne jurent que par l’État-nation et le retour à l’ordre ancien. Dans de nombreux domaines (immigration, éducation, justice), ce retour est vital, mais il faut se rappeler que les États-nations sont eux-mêmes issus de l’effondrement de l’Empire romain christianisé. Ils sont la conséquence lointaine des invasions barbares du Ve siècle, et une fragmentation de l’unité politique de la chrétienté. Car enfin, l’âme européenne vaut plus que le respect tatillon de la souveraineté des États-nations. Ne confondons pas le moyen – les institutions – et la fin – la pérennité des cultures nationales et de la civilisation européenne. À ceux qui prétendent que cette dernière est un fantasme, et que seules existent les cultures nationales, qu’ils parcourent donc le monde et ils distingueront sans peine ce qui relève de la nuance (les différentes cultures européennes) de ce qui relève de la différence essentielle (les civilisations).

Notre projet doit être la restauration de l’Europe unie, plutôt que le combat acharné pour la pérennité de son éclatement. Il ne s’agit pas de pratiquer une fuite en avant vers le dépassement des États-nations mais, puisque ce dépassement se fera, avec ou sans nous, il nous faut en avoir la maîtrise. Trop longtemps, les défenseurs de l’âme européenne ont laissé aux européistes le monopole de l’idéal européen. Les souverainistes se cantonnent soit à une négation (NON à l’Europe fédérale), soit à une nostalgie gaulliste (OUI à l’Europe des nations). Il nous faut penser un horizon nouveau, sans quoi l’histoire du continent sera écrite par nos adversaires, notre rôle se limitant à celui de retardateur, grippant provisoirement l’engrenage de la déconstruction civilisationnelle.

L’Europe des nations, les souverainistes vous le répètent, c’est l’Europe du « bon sens ». Mais l’homme n’est pas qu’un être de raison. Pour Carl Gustav Jung, l’homme a un besoin de sacré. Mais il a également un besoin d’idéal et d’utopie. S’il est disposé à se sacrifier pour fonder une nation, il ne l’est plus quand il s’agit de la rafistoler. L’Europe des nations est un conservatisme ; il lui manque la force du nouveau. Or le Neuf est souvent nécessaire à la sauvegarde de l’Ancien.

Nous sommes tellement habitués à voir le pouvoir politique européen déconstruire notre civilisation et nos identités nationales, que nous réagissons avec hostilité à toute idée de pouvoir européen, que nous assimilons à l’idéologie remplaciste. Or, le lieu du pouvoir ne préjuge pas de son contenu ; à nous d’en édifier un qui œuvre à notre renaissance civilisationnelle. 

Nietzsche écrit ainsi: « Ce qui m’importe […] c’est l’Europe unie. Pour tous les esprits vastes et profonds du siècle, la tâche où ils ont mis toute leur âme a été de préparer cette synthèse nouvelle et d’anticiper à titre d’essai l’« Européen » de l’avenir.  Aux heures de faiblesse seulement, ou quand ils vieillissaient, ils retombaient dans les perspectives étroites de leurs patries ».

Nous vous conseillons de lire également « Pour un transhumanisme de Droite » du même auteur

Références :
 1. F. Nietzsche, L’Antéchrist, § 4, Oeuvres philosophiques complètes, Paris, Gallimard, 1974, t. VIII, p. 162.
2. Pierre-André Taguieff, Les contre-réactionnaires, Le progressisme entre illusion et imposture, Denoël, 2007, p. 243.
3.  Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, 2015.
4.  Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance, tome II, Gallimard. p. 293. 

samedi, 18 janvier 2020

“Qu’est-ce que le réalisme politique ?”

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“Qu’est-ce que le réalisme politique ?”

par Arnaud Imatz

Introduction d’Arnaud Imatz au livre de Dalmacio Negro Pavón, La loi de fer de l’oligarchie. Pourquoi le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple est un leurre, L’Artilleur / Toucan, 2019.

Oligarchie.jpgSourcé et documenté, mais en même temps décapant sans concessions et affranchi de tous les  conventionnalismes, ce livre atypique sort résolument des sentiers battus de l’histoire des idées politiques. Son auteur, Dalmacio Negro Pavón, politologue renommé dans le monde hispanique, est au nombre de ceux qui incarnent le mieux la tradition académique européenne, celle d’une époque où le politiquement correct n’avait pas encore fait ses ravages, et où la majorité des universitaires adhéraient avec conviction, – et non par opportunisme comme si souvent aujourd’hui -, aux valeurs scientifiques de rigueur, de probité et d’intégrité. Que nous dit-il ? Résumons-le en  puisant largement dans ses analyses, ses propos et ses termes:

Historiquement, le monde n’a pas connu d’autre forme de gouvernement que celle du petit nombre (la minorité dirigeante), et tout gouvernement a besoin de l’appui de l’opinion. Il n’y a pas de communauté politique sans hiérarchie ; pas de hiérarchie sans organisation, pas d’organisation sociale qui ne se concrétise sans la direction d’un petit nombre. C’est ce qu’on appelle la loi de fer de l’oligarchie. Derrière toutes les formes de gouvernement connues (monarchie, aristocratie, démocratie – selon la classification classique -, démocratie et dictature – selon la classification moderne), il n’y a qu’une minorité qui domine l’immense majorité. Les multiples variantes possibles dépendent du mode de rénovation de cette minorité et des limites et contrôles auxquels cette minorité se soumet dans l’exercice du pouvoir. Les positions oligarchiques ne sont jamais disputées par les masses ; ce sont les différentes factions de la classe politique qui se les disputent. Les gouvernés n’interviennent pas dans ce litige permanent si ce n’est comme vivier des nouveaux aspirants au pouvoir, comme vivier des nouvelles élites. Les gouvernés sont des spectateurs, parfois des animateurs, rarement des arbitres.

Lorsqu’une oligarchie est discréditée, elle est invariablement remplacée par une autre en quête de prestige, c’est-à-dire de légitimité d’exercice, prête s’il le faut à utiliser la démagogie. La souveraineté populaire est un mythe qui permet aux oligarques tous les abus et toutes les arnaques imaginables.L’utopiste qui rêve qu’il est possible d’éliminer l’égoïsme en politique et de fonder un système politique sur la seule moralité n’atteint pas la cible, pas plus d’ailleurs que le réaliste qui croit que l’altruisme est une illusion et que toute action politique est basée sur l’égoïsme. En dehors des éternels naïfs, le consensus politique – expression collective de la loyauté de la classe politique envers elle-même -, ne trompe que ceux qui veulent se tromper eux-mêmes, par convenance personnelle ou pour obtenir quelques faveurs. Les problèmes politiques ne peuvent pas être résolus définitivement. En politique il n’y a de place que pour le compromis.

Que dire de la démocratie en Europe ? Elle est moins une religion qu’une superstition, un substitut, un succédané ou une apparence de foi, qui est née des religions de la politique. Elle est, « une hypocrisie organisée » disait Schumpeter, elle se réduit à l’opportunité que les oligarchies partitocratiques  offrent aux gouvernés de se prononcer périodiquement sur une option, généralement limitée, après avoir procédé à une grande opération d’information ou de marketing auprès de l’opinion publique.

Cela dit, et malgré tout, il semble qu’une grande partie du peuple soit de plus en plus consciente de l’existence de la loi de fer de  l’oligarchie. Mais à l’inverse, de plus en plus craintive, l’oligarchie resserre au maximum les vis qui assujettissent le demos au singulier supermarché qu’est l’État des partis. On sait les réactions d’hostilité, de mépris et de peur que suscitent les mouvements populistes et les rébellions populaires du genre « Gilets jaunes » dans  la quasi-totalité de l’establishment[1] européen.

dalmacio-negro.jpgUne révolution a besoin de dirigeants, mais l’étatisme a infantilisé la conscience des Européens. Celle-ci a subi une telle contagion que l’émergence de véritables dirigeants est devenue quasiment impossible et que lorsqu’elle se produit, la méfiance empêche de les suivre. Mieux vaut donc, une fois parvenu à ce stade, faire confiance au hasard, à l’ennui ou à l’humour, autant de forces historiques majeures, auxquelles on n’accorde pas suffisamment d’attention parce qu’elles sont cachées derrière le paravent de l’enthousiasme progressiste.

Les analyses, les interrogations et les propos sévères, souvent même très corrosifs, de Negro Pavón ne risquent guère de lui faire des amis parmi le petit nombre des détenteurs du pouvoir, ni parmi leurs soutiens souvent serviles du monde politique, économique et médiatico-culturel, mais de cela il n’en a cure Anciennement professeur d’histoire des idées politiques à l’Université Complutense de Madrid, actuellement professeur émérite de science politique à l’Université San Pablo de Madrid, membre de l’Académie royale des sciences morales et politiques, auteur d’une bonne vingtaine de livres[2] et de plusieurs centaines d’articles, il n’a plus rien à prouver. Fin connaisseur de la pensée politique européenne classique et moderne, excellent polyglotte, lecteur invétéré de tous les grands auteurs européens[3] et américains, il nous convie à un remarquable parcours à travers l’histoire de la politique occidentale en même temps qu’il nous donne un diagnostic lucide et pénétrant de la réalité de l’Europe et de l’Occident actuels.

Pavón se rattache ouvertement à l’École du réalisme politique. Il n’est donc pas inutile, avant de lui céder la plume, de rappeler à grands traits ce qu’est cette École de pensée si souvent objet de malentendus, de tergiversations et de caricatures. Qu’entend-on par réalisme politique ou par tradition de pensée machiavélienne (et non machiavélique) de la politique ? Avant de répondre, il nous faut mentionner l’habituel argumentaire dépréciatif de ses adversaires. Le réalisme serait selon eux le culte de l’époque, une idéologie manichéenne, pragmatique, opportuniste, fataliste et désespérante, une idéologie de dominants, de chantres du conformisme, qui fait de l’instant une fin, qui considère le présent indépassable, qui refuse de penser le changement et l’avenir. Mais ce réquisitoire, aujourd’hui si répandu, n’est somme toute qu’une illustration de plus des méfaits de l’enfumage idéologique. Il n’est pas sans rappeler l’Anti-Machiavel du despote éclairé (ou obscur) Frédéric II, qui avait été écrit pour séduire et abuser l’Europe des philosophes. Comme disait l’annonce des films de fiction de ma jeunesse: « toute ressemblance avec des situations réelles existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite ». Nous le verrons, le réalisme politique est au contraire une méthode d’analyse et de critique complète, intense et radicale de tout pouvoir constitué.

À proprement parler, le réalisme politique n’est ni une école homogène, ni une famille intellectuelle unitaire. C’est seulement un habitus, une disposition d’esprit, un point de vue d’étude ou de recherche qui vise à éclairer les règles que suit la politique[4]. Ce n’est pas la défense du statu quo, la défense de l’ordre établi ou la doctrine qui justifie la situation des hommes au pouvoir comme le prétendent faussement ses adversaires. Le réalisme politique part de l’évidence des faits, mais il ne se rend pas devant eux. Il ne se désintéresse pas des fins dernières et se distingue en cela du pseudo-réalisme de type cynique qui réduit la politique à la seule volonté de puissance, au règne et au culte de la force à l’état pur. Le réaliste politique authentique est un homme avec des principes, une morale, une profonde conscience des devoirs et des responsabilités de l’action politique. La prudence, la sagesse, l’équilibre, le sens de la responsabilité et la fermeté de caractère sont les clefs de sa pensée.

978847209552.JPGLe réaliste authentique affirme que la finalité propre à la politique est le bien commun, mais il reconnait la nécessité vitale des finalités non politiques(le bonheur et la justice). La politique est selon lui au service de l’homme. La mission de la politique n’est pas de changer l’homme ou de le rendre meilleur (ce qui est le chemin des totalitarismes), mais d’organiser les conditions de la coexistence humaine, de mettre en forme la collectivité, d’assurer la concorde intérieure et la sécurité extérieure. Voilà pourquoi les conflits doivent être, selon lui, canalisés, réglementés, institutionnalisés et autant que possible résolus sans violence.

Dalmacio Negro Pavón aborde avec rigueur chacune des idées du réalisme politique[5]. Les deux principales se retrouvent dans les titres des deux premiers essais de son livre : La loi de fer de l’oligarchie, loi immanente à la politique et Démystifier la démocratie. Il complète ensuite ces deux essais par un texte plus bref Sur la théologie politique dominante qui porte sur la question théologico-politique, ou si l’on préfère sur les causes existentielles et spirituelles de la situation actuelle, tout particulièrement sur l’importance de l’influence des hérésies théologiques sur la pensée et les attitudes politiques modernes. On pourrait classer l’ensemble des idées de son livre dans l’ordre suivant :

Première idée : le caractère inévitable de l’oligarchie et de la division gouvernants-gouvernés. C’est la fameuse loi d’airain, de bronze ou de fer de l’oligarchie, formulée par Robert Michels. Selon les régimes et les sociétés, nous l’avons dit, la circulation des élites peut être plus ou moins grande, mais en dernière instance, c’est toujours le petit nombre, la minorité qui dirige.

Deuxième idée : La démocratie idéale est irréalisable et les symboles démocratiques sont des fictions. La complexité des problèmes et surtout la dimension des sociétés constituent autant d’obstacles à l’autogouvernement. En général, les hommes politiques le savent, mais tous connaissent aussi l’importance de la magie des paroles. Par ailleurs, les démocraties réelles tendent toujours à se convertir en oligarchies. Plus la démocratie s’organise, plus elle tend à décliner. Plus elle s’organise et plus les possibilités de coaction et de manipulation des masses grandissent. « La démocratie, gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » selon la formule célèbre de Lincoln, relève de l’utopie ou de la foi religieuse. La démocratie est une méthode, elle ne saurait être une fin, un  idéal absolu, un impératif moral. L’idéologie démocratique, la foi démocratique, relève de la rhétorique. Elle ne sert qu’à éluder les responsabilités et à écraser l’opposition au nom du peuple.

Troisième idée : la politique ne peut pas faire l’économie d’une vision de l’homme. Le réaliste politique peut penser soit que l’homme est historique, soit, qu’il existe une nature humaine. Mais dans les deux cas, il considère que les pulsions humaines expliquent pour une bonne part le caractère instable des institutions politiques et le caractère conflictuel de la politique.

Quatrième idée : la reconnaissance de la nature intrinsèquement conflictuelle de la politique. La vie sera toujours le théâtre de conflits et de différences. La politique au sens traditionnel est la grande « neutralisatrice » des conflits. Voilà pourquoi la résistance systématique et aveugle à toute forme de pouvoir (la croyance que « le pouvoir est le mal ») constitue une excellente méthode pour accélérer la corruption du pouvoir et entrainer sa substitution par d’autres formes de pouvoir souvent bien plus problématiques et plus despotiques. Ce n’est pas parce qu’un peuple perd la force ou la volonté de survivre ou de s’affirmer dans la sphère politique que la politique va disparaitre du monde. L’histoire n’est pas tendre… malheur au fort qui devient faible !

Cinquième idée : le scepticisme en matière de formes de gouvernement. Il est impossible de prononcer scientifiquement un jugement catégorique sur la convenance de l’un ou l’autre des régimes en place. Il n’y a pas de régime optimal ou parfait. Chaque régime politique est une solution contingente et singulière, une réponse transitoire à l’éternel problème du politique. Tous les régimes sont par ailleurs également soumis à l’usure du temps et à la corruption[6].

Sixième idée : le rejet de toute interprétation mono-causale de la politique comme partiale et arbitraire. Les explications mono-causales « en dernière instance » par l’économie, par la politique, par la culture, par la morale, etc. sont réductionnistes et n’ont aucun sens.

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L’étude des partis politiques et des syndicats, réalisée par Robert Michels au début du XXe siècle, révèle particulièrement bien la caractéristique fondamentale des sociétés: la tendance à l’oligarchie. Un parti politique n’est ni plus ni moins qu’un groupe de personnes qui s’unissent pour conquérir et conserver le pouvoir. Tout le reste (même l’idéologie) est secondaire. Les partis naissent comme des groupes élitistes et se convertissent en organisations de notables ; puis, avec le suffrage universel, ils se transforment le plus souvent en partis de masses. Mais lorsqu’ils s’organisent fortement, ils obéissent toujours à la loi de fer de l’oligarchie. L’analyse des « partis de masse » a mis à nue quelques principes généraux que l’on peut énoncer ainsi :

– Les multitudes sont frappées d’une sorte d’incapacité politique. Lorsqu’elles perdent leurs leaders, elles se retirent et abandonnent le champ politique.

– L’oligarchie est une nécessité sociale. Le principe d’organisation est une condition absolument essentielle pour la lutte politique.

– Ce sont les minorités et non les masses qui se disputent le pouvoir. Les leaders de tous les camps se présentent comme les porte-paroles du peuple, mais en réalité c’est toujours la lutte entre l’ancienne minorité qui défend son hégémonie et la nouvelle minorité ambitieuse qui entend conquérir le pouvoir.

– Le leadership est tendanciellement autocratique. Les leaders ne se contentent pas de vouloir durer, ils veulent toujours plus de pouvoir. L’éloignement des masses, la professionnalisation, le niveau intellectuel et culturel des leaders, la tendance à rechercher le renouvellement par cooptation, voire le népotisme, sont de puissants éléments qui contribuent à l’isolement des leaders. Les rébellions de la base n’ont que d’infimes possibilités de succès.

– Le parti est un instrument de domination. Contrairement à ce qu’ils prétendent les partis sont des organisations qui veulent que les élus dominent les électeurs et que les mandataires dominent les mandants.

– La tendance oligarchique est consubstantielle aux partis. Seule une minorité participe aux décisions du parti et, souvent, cette minorité est ridiculement exiguë.

Conclusion : la démocratie réelle est une oligarchie élue par le peuple. Elle exclut l’usage de la violence physique mais non pas la violence morale (la compétition déloyale, frauduleuse ou restreinte). Deux conditions permettraient de réformer en profondeur la démocratie politique actuelle au bénéfice du peuple. D’abord, les représentés devraient pouvoir recouvrer la liberté de contrôler directement les représentants ou élus qui leur a été abusivement retirée. Il faudrait pour cela instaurer un système électoral majoritaire avec mandat impératif ; les représentants seraient ainsi obligés de respecter le mandat impératif de leurs électeurs respectifs. Enfin, pour que le peuple puisse, sinon diriger et gouverner de fait, du moins s’intégrer et participer durablement à la vie politique, il faudrait que le principe de la démocratie directe soit largement accepté [avec bien sûr le référendum d’initiative populaire (RIP) ou citoyenne (RIC)[7]].

517y-pAX7EL._SX326_BO1,204,203,200_.jpgCela étant, on peut être un sceptique ou un pessimiste lucide mais refuser pour autant de désespérer. On ne peut pas éliminer les oligarchies. Soit ! Mais, comme nous le dit Dalmacio Negro Pavón, il y a des régimes politiques qui sont plus ou moins capables d’en mitiger les effets et de les contrôler. Le nœud de la question est d’empêcher que les détenteurs du pouvoir ne soient que de simples courroies de transmission des intérêts, des désirs et des sentiments de l’oligarchie politique, sociale, économique et culturelle. Les hommes craignent toujours le pouvoir auquel ils sont soumis, mais le pouvoir qui les soumet craint lui aussi toujours la collectivité sur laquelle il règne. Et il existe une condition essentielle pour que la démocratie politique soit possible et que sa corruption devienne beaucoup plus difficile sinon impossible, souligne encore Dalmacio Negro Pavón. Il faut que l’attitude à l’égard du gouvernement soit toujours méfiante, même lorsqu’il s’agit d’amis ou de personnes pour lesquelles on a voté. Bertrand de Jouvenel disait à ce propos très justement: « le gouvernement des amis est la manière barbare de gouverner ».

Arnaud Imatz-Couartou

Docteur d’État ès sciences politiques

Membre correspondant de l’Académie royale d’histoire d’Espagne


[1] En théorie on peut distinguer l’establishment (concept anglosaxon désignant la minorité politico-sociale exerçant son contrôle sur l’ensemble de la société), et  l’oligarchie  (petit nombre d’individus, catégorie, classe ou caste dominante détenant le pouvoir et contrôlant la société) de l’élite, minorité d’individus auxquels s’attache un pouvoir dû à des qualités naturelles ou acquises (les « meilleurs » en raison de leurs mérites : race, intelligence, sagesse, éthique, culture, éducation,  richesse, etc.). Mais dans les faits, ces trois concepts recouvrent aujourd’hui une même réalité.

[2] Dalmacio Negro Pavón est un disciple de l’historien des idées politiques, Luis Díez del Corral, qui a été président de l’Académie des sciences morales et politiques d’Espagne et docteur honoris causa de la Sorbonne (1980). Díez del Corral était pendant longtemps rédacteur de la célèbre revue Revista de Occidente fondée par le philosophe José Ortega y Gasset. Parmi les ouvrages de D. Negro Pavón citons plus particulièrement:  Liberalismo y socialismo: la encrucijada intelectual de Stuart Mill, Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 1976; Comte: positivismo y revolución, Madrid, Editorial Cincel, 1985; El Liberalismo en España, Madrid, Unión Editorial, 1988; Estudios sobre Carl Schmitt, Madrid, Fundación Cánovas del Castillo, 1995; La tradición liberal y el Estado, Madrid, Unión Editorial, 1995; Gobierno y Estado, Madrid, Marcial Pons, 2002; Lo que Europa debe al cristianismo, 3e éd., Madrid, Unión Editorial, 2007; El mito del hombre nuevo, Madrid, Encuentro, 2009; Historia de las formas del Estado. Una introducción, Madrid, El Buey mudo, 2010, Il dio mortale, Piombino, Il Foglio, 2014 et La tradición de la libertad, Madrid, Unión Editorial, 2019.

[3] Soulignons l’intérêt marqué de Negro Pavón pour la pensée politique française, ce dont témoignent les travaux de plusieurs de ses disciples. Il en est notamment ainsi des politologues et philosophes Armando Zerolo Durán, spécialiste de Bertrand de Jouvenel (voir : Génesis del Estado Minotauro. El pensamiento político de Bertrand de Jouvenel, Murcia, Sequitur, 2013), Domingo González Hernández, spécialiste de René Girard (voir:  Hacia una teoría mimética de lo político: René Girard y su escuela, Madrid, UCM, 2015 et René Girard, maestro cristiano de la sospecha, Madrid, Fundación Emmanuel Mounier, 2016) et Jerónimo Molina Cano, doyen de faculté à l‘Université de Murcie, spécialiste de Raymond Aron et de Julien Freund et meilleur connaisseur actuel de la pensée du polémologue Gaston Bouthoul (voir:; Raymond Aron, realista político. Del maquiavelismo a la crítica de las religiones seculares, Madrid, Sequitur, 2013; Julien Freund. Lo político y la política, Madrid, Sequitur, 1999 et Gaston Bouthoul, Inventor de la polemología. Guerra, demografía y complejos belígenos, Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, 2019).

[4] Parmi les précurseurs on trouve : Thucydide, Aristote, Ibn Khaldoun, Machiavel, Gabriel Naudé, Saavedra Fajardo, Hobbes, Tocqueville, etc. Chez  les contemporains et les modernes on peut citer: Moisey Ostrogorski, Vilfredo Pareto, Robert Michels, Gaetano Mosca, Carl Schmitt, Max Weber, Simone Weil, Raymond Aron, Gaston Bouthoul, James Burnham, Benedetto Croce, Maurice Duverger, Gonzalo Fernández de la Mora, Julien Freund, Bertrand de Jouvenel, Halford Mackinder, Harold Laski. Gianfranco Miglio, Jules Monnerot, Michael Oakeshott, Giovanni Sartori, Éric Voegelin, Jerónimo Molina Cano, Alessandro Campi,  et beaucoup d’autres aux convictions souvent très différentes (libéraux, socialistes, nationalistes, conservateurs, etc.).

[5] Negro Pavón cite et reprend tous les travaux classiques en la matière, notamment ceux de Moisey Ostrogorski (voir : La démocratie et l’organisation des partis politiques, 1903), Vilfredo Pareto (voir : Les systèmes socialistes, 1902-1903), Robert Michels (voir : Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, 1911), Gaetano Mosca (voir : Elementi di scienza política, 1896-1923), Joseph Schumpeter (voir : Capitalisme, Socialisme et Démocratie, 1943) et Gonzalo Fernandez de la Mora (voir : La partitocracia, 1977).

[6] Sur le plan de l’action politique, il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance du  principe d’hétérotélie, transposition de la pensée de l’Apôtre saint Paul « Je fais le mal que je ne veux pas, je ne fais pas le bien que je veux » (Lettre aux Romains). L’hétérotélie, dont Jules Monnerot a élaboré la théorie la plus complète, est la « ruse de la raison » de Hegel, le « paradoxe des conséquences » de  Weber, le « décalage entre le but avoué et le déroulement réel de l’action » de Pareto, « le principe de différence de l’objectif visé et de l’objectif atteint », l’effet pervers ou le résultat qui contredit si souvent l’intention initiale.

[7] A noter qu’à l’origine le RIC figurait parmi les principales revendications du mouvement des « Gilets jaunes » avec la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, la révision des avantages et des privilèges des élus et le rétablissement de l’ISF pour les valeurs mobilières (actions, placements).

mardi, 07 janvier 2020

Pour la troisième voie solidariste

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Pour la troisième voie solidariste

par la "Fédération des Québécois de souche"

Le dernier ouvrage de Georges Feltin-Tracol, Pour la troisième voie solidariste, est un ouvrage de fond réunissant divers articles offrant des exemples concrets et réels d’alternatives au faux dilemme du libéralisme versus marxisme. Facile à lire et surtout à comprendre, l’auteur, que nous avions interrogé pour Le Harfang cet été, est un penseur libre qui refuse les étiquettes et cherche réellement une voie tierce nous permettant de se sortir du marasme actuel.

Car il faut le dire, le marxisme a échoué – personne ne le niera – et le libéralisme est également en faillite, comme nous le prouve constamment l’actualité économique. Endettement, délocalisations, crises à répétition, effritement des classes moyennes, voilà le bilan sombre du régime où nous sommes, qui ne risque pas de se réformer tout seul avec l’arrivée de la robotisation et de l’automatisation à grande échelle. En fait, loin de s’humaniser, le libéralisme s’est transformé en néo-libéralisme mondialiste, véritable rouleau compresseur des peuples.

Plus que jamais, non seulement une troisième voie est possible, mais elle est nécessaire à notre survie en tant que peuple, en tant que nation et même en tant qu’individus.

Alors, quelle voie emprunter?

Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique, conscient de l’échec des deux grandes idéologies se revendiqua lui-même d’une troisième voie, « au-delà de la droite et de la gauche ». Emmanuel Macron fit de même et osa même se revendiquer d’un certain solidarisme, un terme qui n’a certes pas le même sens dans sa bouche que dans la nôtre. Face à cette tentative de cooptation d’une troisième voie éventuelle, Feltin-Tracol dresse quelques impondérables, quelques éléments d’une véritable troisième voie.

Au niveau macro-économique, donc de la nation, les principes qui doivent être adoptés sont les suivants :

1 – libre marché dans certains domaines,

2 – contrôle étatique dans les domaines d’intérêt général,

3 – formations de coopératives, de mutuelles et autres entreprises de co-gestion ou de co-propriété.

Au niveau micro-économique, donc de l’entreprise, c’est la gestion organique, inspirée notamment des idées de Hyacinthe Dubreuil, qui doit primer. Les travailleurs doivent participer à l’avancement de l’entreprise et en recevoir les justes bénéfices. C’est donc une voie tierce, qui existe sous différents modèles qui refuse l’exploitation des travailleurs par le patronat, comme sous le modèle capitaliste, ou à l’inverse l’opposition entre les travailleurs et le patronat, comme préconisée par le marxisme. Une troisième voie se doit de favoriser la concorde, la bonne entente.

Les exemples concrets de ce genre de gestion foisonnent. Nombreux sont les modèles tercéristes qui furent mis en place au sein d’entreprises pour améliorer le rendement, mais pour également donner un sens au travail des employés qui deviennent de véritables partenaires ou associés, et pas dans le sens que Wal Mart donne à ce terme. Pensons à la vision des gaullistes de gauche qui mettaient de l’avant un partenariat capital-travail ou à celle du Front national historique prédatant son « renouveau libéral » ou encore à l’ergonisme de Jacob Sher ou bien à celle de la Doctrine sociale de l’Église ou du corporatisme catholique de René de la Tour du Pin… les alternatives sont légion !

La première troisième voie qui apparut, historiquement parlant, fut le socialisme. Ceux s’en revendiquant, après la Révolution, voulurent faire en sorte que les droits politiques se doublent de droits économiques. Ni de droite royaliste, bien que la droite royaliste avait à cœur les avancées sociales comme le démontra Maurras qui parlait de l’Ancien Régime comme un État « hiérarchique, socialiste et communautaire », ni de gauche bourgeoise, cette dernière étant souvent la classe exploitant les travailleurs, des socialistes comme Louis-Auguste Blanqui, Pierre-Joseph Proudhon, puis plus tard Georges Sorel, Raoul Roy et Jean Mabire, esquissèrent le schéma d’une société plus juste et équitable. Ces noms, la gauche n’ose pas s’y référer tant ils ont peu de lien avec le programme qu’ils mettent désormais de l’avant et d’ailleurs, comme l’ont bien démontré Jean-Claude Michéa et Thibault Isabel, ces socialistes n’étaient pas « de gauche ». Pourtant, si le socialisme représente une alternative réelle, Feltin-Tracol ne préconise pas l’emploi de ce terme, galvaudé par la gauche et vidé de son sens. Mieux vaut se chercher une autre étiquette que de se coller à celle revendiquée par un François Hollande et un Bernard-Henri Lévy.

GFT-TV-210x300.jpg« Pour une évidente clarté sémantique, écrit-il, il serait préférable de laisser au Flamby normal, à l’exquise Najat Vallaud-Belkacem et aux morts vivants du siège vendu, rue de Solférino, ce mot de socialiste et d’en trouver un autre plus pertinent. Sachant que travaillisme risquerait de susciter les mêmes confusions lexicales, les termes de solidarisme ou, pourquoi pas, celui de justicialisme, directement venu de l’Argentine péronisme, seraient bien plus appropriés. »

À la recherche d’une troisième voix effective, l’auteur nous replonge d’abord dans la vision tercériste promue par Christian Bouchet, puis dans le solidarisme de Jean-Gilles Malliarkis et Jean-Pierre Stirbois, repris depuis quelques années et remis au goût du jour par Serge Ayoub. En fait, le solidarisme est né au XIXe siècle avec le radical Léon Bourgeois et de là se répandit tant en Belgique, qu’en Allemagne et en Russie où on le représentera avec le trident, symbole toujours employé par les solidaristes. En Russie, il connut ses heures de gloire sous le sigle NTS, qui représentait ces solidaristes opposés activement au régime soviétique. Notons que le terme « solidarisme » n’a aucun, absolument aucun, lien avec Québec solidaire qui allie marxisme économique et culturel dans une ambiance post-soixante-huitarde. Le solidarisme tel qu’envisagé par ses défenseurs et théoriciens n’est pas qu’un système économique et représente une réelle alternative aux démocraties libérales.

Pour l’auteur, comme pour les activistes se réclamant aujourd’hui du solidarisme, cette vision du monde s’ancre dans le réel, dans les peuples avec leurs identités propres et de ce fait refuse toute homogénéisation ou folklorisation tels que promues par le libéralisme et même le marxisme. L’identité des régions, des cultures doit être préservée pour que puisse s’articuler une véritable solidarité des peuples. Ce n’est qu’en étant Breton que l’on peu se faire le compagnon de lutte du Québécois. De même qu’un Irlandais fier de ses origines sera à plus à même de comprendre la réalité d’un Corse.

Notons d’ailleurs un fait qu’on ne peut passer sous silence, soit l’intérêt de Feltin-Tracol pour notre Amérique à nous, celle du lys. Il écrit ainsi que le solidarisme doit « soutenir la lutte méconnue des peuples d’ethnie française en Amérique et en Europe (Québécois, Acadiens, Cajuns, Francos, Métis de l’Ouest canadien, Valdôtiens, Wallons, Jurassiens…).

La francité est plus que jamais ce cercle d’appartenance manquant entre la France et une francophonie un peu trop mondialiste. » De savoir que nous ne sommes pas oubliés de nos cousins français fait chaud au cœur.

L’étude de Feltin-Tracol ne se limite pas au solidarisme et l’auteur nous invite à nous plonger dans l’étude du péronisme, du justicialisme argentin, émulé d’une certaine façon par le général Guillermo Rodriguez Lara en Équateur et par une multitude de mouvements d’Amérique latine. L’exhortation d’un Paul Bouchard et des frères O’Leary à nous intéresser à l’expérience de nos frères latins d’Amérique prend ici tout son sens. L’expérience argentine ne démontre-t-elle pas qu’entre le libéralisme et la gauche marxiste peut exister un courant réellement patriote et social?

Le Libyen Mouhamar Kadhafi instaura lui aussi un régime préconisant une voie tierce, affirmant que « capitalisme et marxisme sont les deux faces d’une même réalité ». Il instaura ainsi une gestion participative du travail, les usines étant cogérées par les patrons et les employés. Plusieurs exemples dans le même genre, notamment celui du Libanais Pierre Gemayel, du parti arabe Baas, cofondé par le chrétien orthodoxe Michel Aflak, nous rappellent que si les systèmes de troisième voie sont moins communs que ceux se revendiquant du libéralisme ou du marxisme, ils ne sont pas, loin s’en faut, une utopie irréalisable.

Il souligne aussi le militantisme de fait réalisé par le Bastion social, qui fut interdit depuis, mais qui inspira de nombreuses autres initiatives, dont ici au Québec avec les œuvres pour les démunis réalisées tant par Storm Alliance que par Atalante. Cet activisme mettant en place des organismes solidaires est loin d’être une opération de communication, le social a toujours fait partie des priorités des identitaires. Les problèmes sociaux sont une urgence à laquelle il faut répondre non par des théories ou des slogans, mais par des actions concrètes. Ces actes forment la base de futurs contre-pouvoirs, d’une contre-société s’élevant en marge du système actuel. L’implication sociale n’est pas un correctif apporté pour lutter contre les abus de la société libérale, mais une partie prenante du projet de société.

Ce livre devrait être lu par tous les chefs de PME, mais aussi par les politiciens qui nous gouvernent et qui trop souvent manquent d’originalité, emboîtant automatiquement le pas à leurs prédécesseurs sans jamais ne remettre en question leurs principes. Les exemples mis de l’avant par Feltin-Tracol ne sont ni irréalisables, ni utopiques, il faut seulement accepter de regarder ailleurs et de penser en dehors du cadre rigide que l’habitude et l’inertie nous ont imposé. Au fond, « les positions tercéristes ne sont finalement que des positions de bon sens, une adhésion au bien commun de la civilisation européenne. La troisième voie est au fond l’autre nom de la concorde organique ».

FQS

• Georges Feltin-Tracol, Pour la troisième voie solidariste. Un autre regard sur la question sociale, Les Bouquins de Synthèse nationale, coll. « Idées », 2018, 170 p., 20 €.

• D’abord mis en ligne sur Fédération des Québécois de souche, le 8 décembre 2019.

mardi, 31 décembre 2019

Ambiance fin du monde

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Ambiance fin du monde

 
 
par Richard Labévière
Ex: http://www.zejournal.mobi

Désolation tous azimuts. Casino remplace ses caissières par des machines et des vigiles. Certains clients trouvent cela formidable ! C’est dire l’état des consciences… La SNCF – qui n’est plus la SNCF – aussi, ferme ses accueils humains les uns après les autres. En son temps, les syndicats ont été incapables d’expliquer et de dénoncer la privatisation de ce grand service public, démantelé à la demande expresse de Bruxelles. Désormais, c’est le règne, là-aussi, de la double punition : l’usager paie et fait le travail, que son imprimante fonctionne ou non ! Comme partout désormais : le service, c’est le client lui-même qui l’assure, selon l’un des fondamentaux de l’ultra-libéralisme : plus d’accueil, plus de secrétariat, plus d’intermédiaire humain salarié, plus de salariat du tout, mais des consommateurs qui financent et actionnent eux-mêmes les services auxquels ils croient avoir accès.

Dans cette perspective, il faut privatiser : pri-va-ti-ser à tout prix ! Glissement de terrain : de la « main invisible » du libéralisme de papa (Adam Smith, Ricardo), on est passé – depuis la fin des années 1970 avec Thatcher et Reagan – au « néo-libéralisme », en réaction aux politiques keynésiennes de l’Etat-providence. Avec la crise de 2008, on est entré de plein pied dans une troisième phase d’hyper, sinon d’ultra-libéralisme, le mot d’ordre étant justement d’accélérer la privatisation de tout, du reste, et à tout prix : les entreprises, les ressources naturelles, la biodiversité, l’espace public et les cerveaux… La propriété, c’est le vol disait Proudhon. Aujourd’hui et plus que jamais dans l’Histoire : privatiser, c’est voler ! Les riches toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres… Cette loi de thermodynamique engendre révoltes sociales, suicides et risques accrus de guerres civiles : Chili, Mexique, Bolivie, Brésil, Haïti, Irak, Liban, France, etc.

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Cette tendance générale à l’« ubérisation » ne dérégule pas seulement les métiers établis mais se généralise à l’ensemble des activités humaines. Il n’est qu’à voir les trottinettes faucher les petites vieilles sur les trottoirs, et pas seulement les petites vieilles, objet de métal hideux abandonné au beau milieu des trottoirs, devant les entrées d’immeubles et de boulangeries – paroxysme de la privatisation de l’espace public ; les vélos – dont une majorité d’usagers ne sait plus se servir – griller les feux de la circulation, percutant les piétons qui ont encore la naïveté d’emprunter les passages cloutés quand le petit bonhomme passe au vert… les patins à roulettes et autres machines roulantes électriques qui ont transformé les rues en une jungle où règne la loi du plus fort, sous l’œil goguenard des forces de l’ordre, celles ci le plus souvent brillant par leur absence!

En fait, cette violence insidieuse nous fait glisser d’une ubérisation déjà structurelle à une « mad-maxisation »(1) plus dangereuse encore puisqu’il y va désormais de notre intégrité physique et mentale. Parce qu’il ne s’agit plus seulement de faire de l’argent, n’importe comment, mais de faire prévaloir son individualité – hors-sol – de toutes les manières possibles – changements de sexe, piercings et tatouages, selfies ou ego-portraits, fabrication d’enfant-marchandises, etc. -, sans hésiter à recourir à la violence physique. Ici, ne sont pas seulement en cause les règlements de compte des quartiers nord de Marseille, mais des comportements quotidiens, sur les trottoirs, au volant, dans les files d’attente ou sur Internet…

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Durant plus d’une année, n’oublions pas que s’est déchaînée une violence policière inouïe afin de dissuader les petites gens de rejoindre le mouvement des Gilets Jaunes : des morts, yeux crevés, mains arrachés et tabassages en règle avec, à la clef, une restriction significative du droit de manifester ; restriction des libertés civiles et politiques dans une République qui marche en arrière, sur la tête et sans discernement. Et ce ne sont pas les quelques Black Blocs et inévitables casseurs – étrangement très mobiles – qui pouvaient justifier le déferlement d’une violence révélatrice d’un fascisme qu’on croyait définitivement enfermé au musée des horreurs historiques. Comme au temps de Pinochet et de sa junte sanguinaire, l’armée chilienne est redescendue dans les rues de Santiago, de Concepcion et de Valparaiso : plus de 500 morts et des milliers de blessés. Triste résultat de la politique ultra-libérale des Chicago-Boys de Milton Friedman, que les socio-démocrates chiliens ont poursuivi le petit doigt sur la couture du pantalon de la grande finance internationale – l’ennemi imaginaire de François Hollande qui fait maintenant des animations dans les supermarchés…

Ailleurs, dans le centre-ville des grandes villes françaises, des gens se battent entre eux pour essayer d’accéder aux transports publics. Là-aussi, des vigiles… mais impuissants à endiguer l’impulsion « ma gueule d’abord ! ». L’enfer de Jean-Paul Sartre, ce n’est plus les « Autres » puisque ces derniers n’existent plus. Les Autres d’aujourd’hui ont disparu dans un néant généralisé et absolu au profit d’égos atomisés, godemichets dans les oreilles et décibels dans le cerveau, les zombies d’aujourd’hui – jeans troués, casquettes retournées, ça fait « newyorkais » et « rebelle » – s’entrechoquent avec leurs semblables sans plus s’excuser, comme des bœufs ruminants et dociles.

Du reste, les formules de politesse ont disparu d’un vocabulaire qui atteint péniblement deux cents mots. L’uniforme de ces Sturmabteilung/SA modernes : le survêtement de sport à trois bandes et les baskets « naïque », qui valent une fortune. Signe de reconnaissance de ces phalanges apocalyptiques, les marques tribales fabriquent cette nouvelle « élégance » en plastique venue de l’industrie du football. Ces joueurs – drôles de salariés -, qui drainent des millions et des droits de télévision exponentiels, s’imposent comme les « héros » de supporters qui sont persuadés que Vercingétorix est l’avant-centre du Real-Madrid. Ce nouvel opium du peuple est même encensé par quelques géopoliticiens fatigués, qui en tirent des manuels au kilo… parce que tous les autres systèmes multilatéraux (politiques, économiques, et de justice) se sont effondrés.

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Au coeur de cette implosion généralisée : l’ego numérique et ses mal nommés « réseaux sociaux », en fait des outils numériques qui produisent l’atomisation sociale : j’ai deux millions d’amis mais je ne connais pas mon voisin de palier. Ego permanent : je donne mon avis sur tout et n’importe quoi sans chercher le plus petit début de rationalité – j’aime/j’aime pas -, parce que tel est mon bon plaisir, parce que je suis devenu le « journaliste » de mon quotidien, avec les photos de ma vie intime qui n’a plus aucun secret. La presse parle maintenant de « médias sociaux » ! La boucle est bouclée : devenue particulièrement nulle, la presse généraliste se meurt parce qu’elle fait la morale au lieu de produire des faits. Plus de faits ! Terminé ! Des émotions – coco -, de l’affect, voilà le secret des bonnes « unes » et des « headlines ». Pas étonnant de voir les tweets et autres fesses/boucs remplacer l’information – maintenant instincts-Gram – dans l’entropie abyssale de nos sociétés de com-mu-ni-ca-tion.

La politique, c’est communiquer bien-sûr, et prioritairement en faveur des lobbies indispensables pour une éventuelle réélection. Non contente d’inaugurer une place « Jérusalem » à la seule gloire de la soldatesque israélienne, d’avoir imposé un schéma de circulation parfaitement absurde et hyper-pollueur, « la maire socialiste de Paris, Mme Anne Hidalgo, aligne les péroraisons écologiques, tout en laissant recouvrir les grands bâtiments de la capitale de publicités géantes et lumineuses pour les marques de luxe ou de téléphone portable »(2). Donc, pour les prochaines municipales, vous avez compris : tout, sauf Hidalgo !

Dans le même ordre d’idées, comment la mairie de Paris et d’autres communes peuvent-elles admettre que la Starbucks Corporation(3) rachète les principales brasseries de Paris ou d’autres villes au point de défigurer leurs plus belles places et avenues ? Et ce n’est pas un hasard si les « casquettes retournées » et autres SA adorent se retrouver dans ces établissements où l’on consomme de la bouffe américaine très improbable dans de la vaisselle jetable. Il faut boycotter ces établissements pour trois raisons : 1) on l’a dit, ils défigurent nos centre-villes ; 2) comme les GAFA, ces vecteurs de malbouffe ne paient pratiquement pas d’impôt en France ; 3) enfin, les patrons de Starbucks financent allègrement la construction des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés. Dehors Starbucks, hors de nos villes et villages !!!

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La fracture territoriale constitue l’un des principaux moteurs de la protestation des Gilets jaunes : plus d’écoles, ni de postes, ni de maternités ou tout simplement de services publics dans nos territoires et petites communes, et de moins en moins de trains régionaux « tagés » bien-sûr ! Les ploucs de « province » n’ont qu’à se débrouiller avec leur voiture au diesel dont les taxes contribueront à financer, ose-t-on dire une « transition écologique ». On se souvient comment s’est terminée la saga de la vignette-auto, initialement censée améliorer la vie des personnes âgées… Le plus inquiétant concerne la désertification sanitaire. Le Premier ministre lui-même constate benoîtement que l’hôpital public est « en phase de décrochage, comme on dit d’un avion qui ne se porte plus et qui pourrait décrocher ». En effet, l’hôpital et la santé publique partent en vrille alors que le locataire de Matignon avoue son impuissance… Mais qu’attend-il pour changer de métier. Mendès disait que « gouverner, c’est prévoir ». C’est aussi fixer des priorités. A l’évidence, l’équipe actuelle, comme celles d’hier et d’avant-hier, est complètement dépassée, préférant faire des phrases, disant tout et son contraire, « en même temps », bien-sûr !

Ce tropisme est particulièrement accentué, sinon caricatural en matière de politique étrangère. Sur l’Europe : il faut approfondir avant d’élargir et pourtant on prévoit déjà l’adhésion de plusieurs pays balkaniques. Les discussions d’adhésion avec la Turquie n’ont toujours pas officiellement été stoppées, alors qu’Ankara multiplie chantages et pieds de nez. En Afrique, on prône des partenariats « équilibrés », tout en continuant à soutenir les ploutocraties d’« Etats faillis » et à imposer des réformes structurelles dévastatrices. Au Proche Orient, on ne dit plus rien sur les coups de force israéliens à répétition. Silence complice assourdissant ! Sur la Syrie : fermée en mars 2012, l’ambassade de France à Damas n’est toujours pas rouverte : on dit que les Syriens doivent choisir leur avenir, « et en même temps » que Bachar al-Assad doit en être exclu !

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Sur l’OTAN : on dit que c’est un grand corps malade, mais que l’Organisation demeure le « cadre naturel » de la défense des pays européens. Sur la relation franco-allemande, qui ne fonctionne plus vraiment depuis la réunification de ce pays, la France s’accommode d’un état permanent de soumission et d’humiliations répétées.

Quant à la Cop-25, c’est le pompon : fiasco total, mais on se dit que ce n’est déjà pas si mal que la réunion ait pu avoir lieu et qu’on fera mieux la prochaine fois. Tout cela est bien désespérant !

Pendant ce temps-là, à Annemasse, la vieille gare, qui aurait dû être classée – belle architecture IIIème République avec ses portiques eiffeliens – est en voie de démolition pour être remplacée par un cube de verre et de métal. Troisième triptyque de notre modernité : une laideur en carton-pâte, assurée de mal vieillir. Le nouveau bâtiment, qui n’a pas encore été inauguré, est déjà endommagé : les écoulements de pluie en obscurcissent la transparence initiale. « Transparence », maître mot d’une époque qui justifie et érige pourtant la corruption sous toutes ses formes en modèle de réussite sociale.

Dernièrement, le « Monsieur retraite » – Jean-Paul Delavoye – a oublié de déclarer une quinzaine de mandats dont certains juteux, et quelques dépenses faramineuses. Lors de son départ forcé, il est néanmoins salué par la ministre de la santé comme un « grand serviteur de l’Etat » et remplacé par un obscur député, ancien responsable des ressources humaines du groupe Auchan, qui avait viré une employée pour une erreur de caisse de 80 centimes d’euros… Quel monde !

Face à de telles violences sociales, quotidiennes et clandestines, il n’est pas abusif de dénoncer un alignement généralisé qui s’apparence à une nouvelle forme de fascisme. Les trois piliers de ce fascisme contemporain : des robots, des vigiles et la laideur en prime. Uniformes en plastique, matériaux de pacotilles et sous-cultures de masse assiègent ce qui reste d’intelligence collective. Depuis le 5 décembre dernier, le recul des ventes de livres dans les librairies indépendantes(4) se chiffre à – 5,6%, tandis que l’achat de consoles et jeux vidéo a encore atteint des records himalayens.

Dans cette ambiance très « fin du monde », que faire ?

Le mot est faible, tant l’implosion du sens est généralisée, sidérale, fractale… Reconstituer des réseaux clandestins, ceux de l’intelligence et de l’amitié comme autant de CNR (Conseil National de la Résistance) pour continuer à cultiver les « passions joyeuses » – disait Spinoza – contre les « passions tristes », à entretenir la joie du savoir et de la connaissance contre l’ignorance qui finit toujours par devenir meurtrière. Mais, comme l’explique Alain Supiot(5), ce n’est pas en restaurant le programme du CNR comme un monument historique que l’on trouvera une issue à notre déglingue sociale, environnementale et culturelle. C’est en repensant son architecture à la lumière du système des objets, de leurs productions et consommations, ainsi qu’au statut accordé au travail. Vaste chantier !

Bonne lecture, en vous souhaitant les meilleures choses pour les temps qui viennent. Nous en aurons besoin ! A la semaine prochaine, ou plutôt à l’année prochaine.

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Notes:

(1) Mad Max est un film australien d’anticipation  réalisé par George Miller, sorti en 1979. La structure narrative est fondée sur le style western, Mad Max se déroulant dans une société violente où la criminalité est en forte augmentation et où le chaos se répand. Mad Max est le premier film d’une série qui se poursuit par Mad Max 2 : Le Défi en 1981 ; Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre en 1985 et enfin Mad Max: Fury Road en 2015.

(2) Serge Halimi : « De Santiago à Paris, les peuples dans la rue ». Le Monde diplomatique – Numéro 790, janvier 2020.

(3) Starbucks Corporation est une chaîne de cafés américaine fondée en 1971. En partie en franchise, il s’agit de la plus grande chaîne de ce genre dans le monde, avec 31 256 établissements implantés dans 78 pays, dont 12 000 aux États-Unis. 

(4) Le Figaro, 27 décembre 2019.

(5) Alain Supiot : Le travail n’est pas une marchandise – Contenu et sens du travail au XXIème siècle. Editions du Collège de France, 2019.

El marxismo cultural como mutación ideológica

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El marxismo cultural como mutación ideológica

Carlos X. Blanco

Ex: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com

En la historia de las religiones se suele considerar que una mutación drástica en el cuerpo de los dogmas da pie a un cisma, una herejía o, sencillamente, a una religión nueva. Los criterios para considerar el grado de ruptura, parcial o radical, con el sistema de creencias precedentes, suelen agruparse en dos grandes grupos: internos y externos. Dentro de los criterios internos, hay mucho campo para la discusión teológico-dogmática. Allí, seguidores de lo viejo y de lo nuevo se enzarzan en agrias peleas en torno al verdadero contenido revelado y doctrinal. Dentro de esta discusión interna, no es posible ser neutral. Todos creen, pero creen de diversa manera. Todos comparten una raíz de creencia o un humus de devoción, pero están dispuestos a morir o dejarse matar por aquello en que difieren. Hay tramos y porciones de racionalidad, pero hay siempre un intangible núcleo duro de fe. Así se escribe la historia de los Concilios, y la historia de muchas herejías, herejías que siempre lo son con respecto a ortodoxias triunfantes. Nunca muere una religión del todo, pero todas mutan y se ramifican por más que sean celosos los correspondientes guardianes de la ortodoxia.

Sabido esto, otro tanto se diga de las ideologías. Las ideologías se comportan de muy parecido modo que las religiones. Como ellas, poseen núcleos duros de dogmatismo e irracionalidad, acaso núcleos inexpugnables e imposibles de purgar en el alma humana. Como las creencias trascendentes, las creencias mundanas de signo político, pues eso es ideología, poseen sus núcleos y sus cinturones opinables, sus iglesias y sus aparatos de propaganda, inmunización, represión y mutación. Las ideologías también mutan, y llegan a volverse adversas al cuerpo dogmático de procedencia. Y al igual que sucede con las religiones, las ideologías poseen segmentos de discusión racional que llegan a envolver a su núcleo fundacional, haciendo así que la verdad que acaso pudieran contener, fruto de una discusión e investigación libres, llegue a envenenarse al contagio con el núcleo al que sirven, y al que ellas envuelven.

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Lo arriba expresado, puede aplicarse estrictamente al marxismo como ideología. Muchos han sido los autores que han comparado el marxismo con una religión. Lo han hecho de forma simplista unos, de manera sistemática y certera otros. Acaso sean los propios marxistas quienes mejor conocen los fosos dogmáticos e irracionales de su doctrina, y sean los más exactos en su lenguaje cuando describen "herejías" revisionistas en su propia doctrina, tribunales "inquisitoriales" en el Partido, y "culto a la Personalidad" en el Amado Líder. El marxismo visto como cuasi religión por sus propios correligionarios, posee una rica historia, precisamente en el decurso de las polémicas entre comunistas, en sus sucesivas Internacionales, en sus desviaciones y escisiones. Esto, en el plano interno. Pero el marxismo como ideología también presenta, desde el punto de vista externo (esto es, ante el analista que no es partícipe de su sistema de creencias) una analogía muy notable con las mutaciones de pensamiento religioso. Así como la mutación de ciertos dogmas judeocristianos dio luz al Islam, y la mutación del catolicismo dio pie al protestantismo y de aquí brotaría, a su vez, el subjetivismo ético, podría emplearse parecido esquema con respecto al marxismo como ideología político-social y económica: su mutación en "marxismo cultural" define los tiempos aciagos que nos tocan.  Describir esa mutación sería tarea digna de un estudio mucho más extenso y hondo que el que ahora podemos ofrecer aquí. Pero vamos a señalar algunas hebras y fragmentos.

La mutación del marxismo stricto sensu, con todas sus variantes, en un marxismo cultural, nunca va a ser reconocida internamente por los propios marxistas, ni por las demás ideologías de izquierda en general. En apariencia, habrá un núcleo duro en el marxismo cultural que los viejos marxistas y marxistas stricto sensu nunca aceptarán. Me refiero a la defensa, conservación y potenciación de un sistema económico capitalista de mercado, ampliamente globalizado, dominado por grandes trasnacionales que, parafraseando a Marx, "no tienen patria". En teoría el marxismo stricto sensu es contrario a esta situación del mundo. Para esta ideología, el capitalismo es la raíz de todos los males, y el hecho de que se degraden los cimientos básicos de la Civilización, como la Familia, la Comunidad, el buen gusto o el sentido de la decencia, sería atribuible exclusivamente al poder del Capital. En efecto, Karl Marx describe la lógica del Capital como una maquinaria implacable, deshumanizada, una apisonadora y trituradora que anulará al individuo. La filosofía de Marx, y su crítica de la Economía Política supone un análisis muy fino, insuperado en su época, de los horrores del capitalismo y de su tendencia inmanente. Pero de una filosofía y de una crítica económico-política pronto hubo de surgir una ideología: el Comunismo como proyecto totalitario estatalista.

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Esta tesis es importante, y llevo años explicándosela a mis alumnos. Las ideologías han podido nacer en el seno de sistemas filosóficos, gestarse en el corazón del corpus producido por grandes pensadores, pero llegan a ser construcciones dogmáticas y anti-filosóficas. Así, por vía de ejemplo: la matriz del liberalismo está en Locke, en su filosofía. La matriz del marxismo, ya sea el socialdemócrata o el leninista, está en Marx. Pero las ideologías no son, en modo alguno, filosofías. Toda ideología es una vulgarización y fosilización de ideas filosóficas, de fragmentos de discurso y crítica que, en su momento y en manos de su creador, pudieron ser racionales, saludables, críticos y vigorizantes, pero que en manos de los epígonos, de los sectarios, de los militantes, acaban siendo rosarios de dogmas, muchas veces inconexos entre sí, y desde luego desconectados de la realidad. Las ideas de Marx, vigorosas en el momento en que surgieron de su cabeza y de su pluma, incomprendidas por el movimiento obrero de aquel momento, no son co-extensivas con la ideología de los marxistas. De la misma manera, los escritos del filósofo liberal por excelencia, John Locke, no son los sofismas ideológicos de los neoliberales.

La Filosofía es el trabajo con las ideas, y a la vez es la crítica constante e implacable de las ideologías. Una idea brota de un suelo real de categorías técnicas, económicas, sociales, culturales. Una idea es una construcción social que trasciende la praxis concreta del hombre pero que surge de ella, la expresa y la trasciende. Una idea es una organización de la realidad. En cambio, la ideología es la elaboración desvirtuada, una esclerosis y fosilización vulgarizada de las ideas.

Distingamos al filósofo del ideólogo. Si el pensamiento neoliberal extremista es un no-pensamiento, que hace del mundo un gigantesco mercado, y del hombre y la naturaleza una simple y llana mercancía, y si el Estado –dimisionario- se pliega más y más a los intereses del Gran Capital-, nuestro John Locke no es el culpable. El filósofo inglés contribuyó a organizar ideas de aquel momento suyo en que se desplegaba la mentalidad burguesa capitalista. Y si el llamado socialismo real fue más bien gulag, el terror, la escasez, la represión, Marx no es el culpable. Marx fue el filósofo revolucionario que fraguó sus ideas para interpretar su realidad en otro momento ulterior a Locke, cuando las relaciones sociales habían pasado a otra fase de explotación intensa del hombre sobre el hombre. Las ideas organizan las categorías sociales y productivas, las expresan y critican. En las ideologías, en cambio, hay siempre elementos dogmáticos, promesas salvíficas, una teología de la Historia que nos marca, de manera irrefutable, no científica, hacia dónde ir.

Es por esto que el llamado marxismo cultural es, en el siglo XXI, la Ideología con mayúsculas, la Ideología por excelencia, reuniendo todos los requisitos señalados arriba. Se trata de una ideología dogmática, como todas, que no es –directamente- fruto de ninguna Filosofía previa (y por tanto no posee un padre fundador concreto). El llamado marxismo cultural es el resultado de una mutación del marxismo ideológico, una aberración dentro del mismo. En modo alguno es una Filosofía, ni siquiera una desviación de ideas filosóficas de algún tipo.

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El marxismo ideológico había degenerado de manera notable en el primer tercio del siglo XX. En las universidades occidentales, tanto como en los movimientos obreros, se había llegado a una situación de estancamiento y polaridad. Por un lado, se vivía el factum de la Unión Soviética, la existencia densa y sólida de la Dictadura del Proletariado, un Estado socialista "realmente existente" que a los ojos de muchos, incluyendo parte de la izquierda occidental más culta y humanista, empezaba a parecer como un verdadero horror. El comunismo mostró sus garras. Una cosa era emprender la crítica del capitalismo, tratar de reformarlo o superarlo, pero conservando los valores fundamentales de la Civilización y otra, muy distinta, era apoyar un régimen totalitario, un Estado policial y terrorista que iba a contradecir todo el derecho natural y la tradición humanista de Europa y, en general, Occidente. Los marxistas apoyaron mayoritariamente ese modelo de Estado policial, colectivista y totalitario al que José Stalin le puso su horrendo sello personal. Ese fue un polo, mientras que el otro, más informado y avisado, optó por elaborar un marxismo no soviético, más crítico y "creativo". Al no depender de la tutela de Moscú, este marxismo occidental pudo liberarse de ciertos dogmas, por ejemplo el economicismo. Así, en las universidades europeo-occidentales y americanas se puso un mayor acento en las "superestructuras", esto es, en el análisis de los factores ideológicos que hacen que el capitalismo pueda crear consenso entre la población, no ya sólo entre las clases beneficiadas por el sistema de dominación, sino incluso entre las que cuentan como clases explotadas.

Así fue como gran parte del marxismo occidental dejó los análisis económico-políticos en un lugar apartado, a modo de preámbulo o presupuesto, para desarrollar en su lugar una "transformación" autónoma de las relaciones sociales e ideológicas capitalistas, al margen o a la espera de una transformación económica efectiva. De esta manera algunos autores marxistas llegaron a convertirse en autoridades "de cabecera" en la izquierda occidental. De la Filosofía de Karl Marx se procedió a una purga y elección de contenidos, obviando aquellos que implicaban la acción violenta para asaltar el poder, la acción de masas cada vez más numerosas y pauperizadas y la tesis del determinismo económico. Los marxistas occidentales obviaron, evidentemente, aquello que había que obviar para que la propia realidad no se les viniera encima, aplastándoles las narices, pues eran profecías incumplidas y hechos contrarios a la realidad. Especialmente en la Europa occidental de la Guerra Fría, dos fueron las influencias seleccionadas para producir un marxismo ideológico que reuniera esos dos requisitos de no identificarse con la U.R.S.S. ni con la revolución, y no esperar a que la base o infraestructura económica se transformara para implantar el socialismo. La primera influencia fue la de Antonio Gramsci, y la segunda la de la Escuela de Frankfurt.

De Antonio Gramsci se toma la idea de hegemonía. El filósofo italiano analizó la "totalidad social", esto es, la sociedad capitalista en la cual el Estado no era, simplemente, una suerte de "comité de empleados al servicio del Capital", sino un organismo mucho más complejo que hace que el Capital garantice el consentimiento y la aceptación del pueblo, siendo el Estado, antes que otra cosa, un agente cultural y educativo, un adoctrinador. Si las fuerzas pro-capitalistas, liberales o conservadoras, habían logrado tanto consentimiento en la sociedad esto era, a los ojos de Gramsci, debido a la cooptación de intelectuales "orgánicos", pedagogos, artistas, escritores, así como gracias al control casi absoluto de la prensa, la escuela, la universidad, el ocio y el espectáculo. De cara a la ingeniería social, que es en el fondo lo mismo que el marxismo cultural, ese control es superestructural y garantiza la continuidad "básica" del sistema capitalista.

Gran parte de la izquierda occidental posterior a la Guerra Fría se volvió interesadamente gramsciana, esto es, "idealista". El control de las ideas, la transformación del hombre para una mejor y mayor explotación capitalista del mundo, que habrá de incluir la mercantilización del ser humano a través de varias fases -su barbarización, su animalización, su cosificación- se hizo más y más necesario para la extensión del programa capitalista de dominación mundial. Hubo un momento, en el siglo XX, en que se descubrió que una interpretación "idealista" del marxismo y una colaboración ideológica del sistema con los intelectuales del izquierdismo era lo más efectivo para proceder a un saqueo sin restricciones de la naturaleza y del ser humano, transformando en mercancía todo cuanto era posible imaginar. El capitalismo descubrió que era conveniente disponer de "superestructuras" izquierdistas.

La otra fuente del marxismo cultural es, por supuesto, la Escuela de Frankfurt. Una corriente mutante del marxismo que se volvió explícita en cuanto a intenciones de obtener un "hombre nuevo", especialmente en la versión del ideólogo Herbert Marcuse quien, haciendo mixtura entre el freudismo y el marxismo, profetizó un estado animalesco de la humanidad futura en el cual el trabajo (y todo cuanto para éste autor implicaba de represión, esfuerzo, abnegación, disciplina) quedaría superado a favor del "juego". Una infancia y adolescencia permanentes en un ser humano irresponsable, dedicado permanentemente al disfrute libidinoso. Los límites entre el juego, el trabajo y el sexo se difuminan en esta teoría, con lo cual la cultura humana se vuelve absolutamente viscosa, sin formas. Esa vida convertida en una fiesta adolescente perpetua es la promesa buscada y promovida desde todos los laboratorios de ingeniería social a partir de Marcuse y su mayo del 68. En las degradadas universidades y escuelas de Occidente, semejante alternativa venció sobre el sueño del "Paraíso Socialista" que, a fin de cuentas todavía contemplaba referencias al valor del trabajo y el sacrificio, defensa de la patria y exaltación de la familia. Por el contrario, la Escuela de Frankfurt y el freudo-marxismo de Marcuse pueden considerar que tales instancias fundamentales de la Civilización son "represivas". Así, para millones de jóvenes europeos y americanos a partir de los años 60 del siglo pasado, la lucha "contra el sistema" devino en una abstracta y ciega lucha contra la Represión, y no en una lucha contra las "insufribles" condiciones económicas que hacían que esos jóvenes estuvieran bien alimentados, matriculados en la universidad y guarecidos por los ingresos de sus padres hasta bien entrada la treintena.

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Lo significativo, para nuestro análisis, no es el por qué esos millones de jóvenes semicultos se acogieron a una ideología que, a fin de cuentas, les liberaba de cargas, obligaciones, una visión de la vida cómoda, "des-represiva" que consagraba la existencia del adolescente haciéndola ideal, perpetua y superior, garantizando su vigencia hasta la vejez en una utópica Sociedad del Bienestar ilimitada, "idealista", infantilmente alzada sobre las nubes como los castillos de los sueños y de los cuentos... Lo importante es otra cosa: el marxismo cultural como mutación ideológica, como anti-filosofía, que implica todo ello está llegando a ser el mecanismo de control de pensamiento de masas más eficaz y omnímodo de la historia pues él mismo provoca el consenso universal buscado. Perpetúa las relaciones de explotación entre países y entre clases sociales, siendo ciegos ante ellas, con la ventaja de que apenas quedan "marxistas auténticos" para analizarlas y denunciarlas. La esclavitud de millones de seres en nuestro planeta queda oculta, en cambio, bajo las demandas de feministas de clase media y media-alta con diplomas universitarios y vida "liberada" que piden cuotas de igualdad. La trata de niños o el comercio de armas en el globo, se oscurecen ante las manifestaciones a favor de la aberración sexual por parte de activistas millonarios o la declaración de los derechos humanos de los simios. La degradación de las condiciones laborales de las personas no tiene el mismo "sex-appeal" en el mercado de las ideologías y de la propaganda que los llamados "derechos de bragueta". Y suma y sigue. El marxismo cultural es la mayor mutación ideológica y la mayor nube negra y tóxica sobre las conciencias del hombre y la mayor trampa de la historia. Posiblemente, la mayor apuesta del capitalismo globalizado tendente a troquelar no ya sólo la sociedad, plegada a sus dictados, sino a troquelar y transmutar la propia naturaleza del hombre.

Publicado originalmente en "Naves en Llamas" (2018; nº 2,pps. 23-32)

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Remarques sur notre ploutocratie totalitaire

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Remarques sur notre ploutocratie totalitaire


« Non, il n’est pas le président des riches, mais des ultra-riches ». Un ancien président sur son successeur


Par Nicolas Bonnal

Source nicolasbonnal.wordpress.com

La France de base crève de faim pendant que Bernard A. pérore sur le génie de son prince-président (Branco parle très bien de leur symbiose) et déverse les milliards de ses fondations pour retaper en plastique fluo la flèche de Notre-Dame. Il est plus riche que dix millions de Français. Alors il peut leur faire la morale : ne sommes-nous pas dirigés par des ploutocrates humanitaires, par des bolcheviques milliardaires ? Relisez ce qu’écrit Trotski de son collègue l’assassin bolchevique Parvus : il veut devenir riche.

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Parvus entre Trotski et Lénine

Eh bien c’est fait. Notre situation c’est celle de la Russie sous Eltsine. Dix riches sont plus riches que dix millions ou trois milliards de zombies-système, et cela grâce aux banquiers centraux qui n’ont plus qu’à financer la milice, pardon la police.

Je cite Trotski :

Néanmoins, il y eut toujours en Parvus quelque chose d’extravagant et de peu sûr. Entre autres étrangetés, ce révolutionnaire était possédé par une idée tout à fait inattendue : celle de s’enrichir. Et, en ces années-là, il rattachait même ce rêve à ce qu’il concevait de la révolution sociale.

Et au cas où on ne comprendrait pas :

Ainsi s’enchevêtraient, dans cette lourde tête charnue de bouledogue, les idées de révolution sociale et les idées de richesse…

Debord disait que dans notre société les agents secrets finiraient terroristes. On ne le sait que trop.  Et les communistes ont fini milliardaires.

La société actuelle (France, Amérique, Allemagne, etc.)  est une dystopie folle, un dystopie de bande dessinée, installée depuis mettons 2007-2009. Jusque-là nous naviguions en mer connue avec des hauts et des bas, des avantages et des inconvénients, une autorité et une résistance. Depuis c’est Moebius – pas le ruban, la BD. On est en 2019 et la vision de Blade runner a gagné, moins la conquête spatiale (on se contente de la conquête mentale en abrutissant avec les vieilles armes de la radio-télé). C’est Tyrrell au sommet de sa pyramide et le populo métissé dans son climat déglingué en bas Nous sommes tombés dans l’horreur économique prophétisée par Rimbaud dans ses Illuminations (voyez mon texte sur Rimbaud et la mondialisation). Quelques milliers de personnes sont plus riches que huit milliards et les huit milliards n’ont qu’à consommer maigrichon et se ranger en bon ordre, sous la baguette féministe/tribale/écologiste et autre.

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Jack London

La tyrannie LGTBQ convient parfaitement à l’ordre milliardaire, un ordre milliardaire bâti à la fortune du pot par nos banquiers centraux frais émoulus de Goldman Sachs et consorts (quand ils n’en viennent pas, ils y retournent). C’est depuis le martyre des peuples qui se met en place sous la férule de féroces bureaucrates larbins et de milliardaires humanitaires. Un autre visionnaire avait décrit cette dystopie juste après Rimbaud, Jack London. Je cite à nouveau l’auteur de Croc blanc, qui dénonce cette conspiration milliardaire dont le but est de bien faire :

Le ciel et l’enfer peuvent entrer comme facteurs premiers dans le zèle religieux d’un fanatique ; mais, pour la grande majorité, ils sont accessoires par rapport au bien et au mal. L’amour du bien, le désir du bien, le mécontentement de ce qui n’est pas tout à fait bien, en un mot, la bonne conduite, voilà le facteur primordial de la religion. Et l’on peut en dire autant de l’Oligarchie. L’emprisonnement, le bannissement, la dégradation d’une part, de l’autre, les honneurs, les palais, les cités de merveille, ce sont là des contingences. La grande force motrice des oligarques est leur conviction de bien faire. Ne nous arrêtons pas aux exceptions : ne tenons pas compte de l’oppression et de l’injustice au milieu desquelles le Talon de Fer a pris naissance. Tout cela est connu, admis, entendu. Le point en question est que la force de l’Oligarchie gît actuellement dans sa conception satisfaite de sa propre rectitude.

Et comme je citais Rimbaud, voici une de ses illuminations transcendantes :

SOIR HISTORIQUE

En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naïf, retiré de nos horreurs économiques, la main d’un maître anime le clavecin des prés; on joue aux cartes au fond de l’étang, miroir évocateur des reines et des mignonnes; on a les saintes, les voiles, et les fils d’harmonie, et les chromatismes légendaires, sur le couchant.

À sa vision esclave, l’Allemagne s’échafaude vers des lunes; les déserts tartares s’éclairent ; les révoltes anciennes grouillent dans le centre du Céleste Empire; par les escaliers et les fauteuils de rocs, un petit monde blême et plat, Afrique et Occident, va s’édifier. Puis un ballet de mers et de nuits connues, une chimie sans valeur, et des mélodies impossibles.

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Rimbaud

Si nos milliardaires se contentaient d’une deuxième centaine de milliards pour racheter la Patagonie, la Papouasie ou le Kamchatka… Mais non : ils veulent nous dresser, formater, cloner, remplacer ou nous anéantir, nous les crocs trop blancs, et refaire de la place sur une terre présumée surpeuplée ! Plus ils seront riches, méfiez-vous, plus ils voudront bien faire. Page de droite, le sac Vuitton, page de gauche, la guerre en Libye ou en province ; ils effaceront toute l’Europe pour y créer une réserve d’autruches du Klondike, d’aurochs des Carpates.
Ils sont comme ça.

Chesterton décrit le péril riche vers 1905 au moment où on finance déjà la destruction de la Russie, la mise au pas des Boers et où on prépare la création de la Fed en Amérique. Et cela donne (un nommé jeudi bien sûr, j’ai écrit dessus) :

Les pauvres ont été, parfois, des rebelles ; des anarchistes, jamais. Ils sont plus intéressés que personne à l’existence d’un gouvernement régulier quelconque. Le sort du pauvre se confond avec le sort du pays. Le sort du riche n’y est pas lié. Le riche n’a qu’à monter sur son yacht et à se faire conduire dans la Nouvelle-Guinée. Les pauvres ont protesté parfois, quand on les gouvernait mal. Les riches ont toujours protesté contre le gouvernement, quel qu’il fût. Les aristocrates furent toujours des anarchistes ; les guerres féodales en témoignent.

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G. K. Chesterton

A cette époque les milliardaires US sont déjà tout-puissants et veulent reformater le monde. Cela donnera les guerres mondiales et la Révolution russe. Le bordel ultime, c’est la société ouverte et son Talon de fer, et son anéantissement des peuples, et ses idées chrétiennes bien folles, et sa censure féroce. Soros fut célébré l’an dernier, Greta cette année, notre tête au bout d’une pique sera l’homme de l’année en 2020. Roland Barthes dénonce déjà dans ses Mythologies l’alliance, dans la presse féminine, du capital et des valeurs gnangnan/humanitaires devenues depuis terroristes. L’arme de destruction massive, c’était Marie-Claire.

De cela aussi j’ai déjà parlé. Je vais ajouter une réflexion sur ce socialisme des milliardaires grâce à l’économiste rebelle Charles Hugh Smith qui écrivait dernièrement, écœuré par la montée indécente et ubuesque des indices boursiers : « Un «marché» qui a besoin de 1 000 milliards de dollars en impression panique-argent par la Fed pour conjurer une implosion karmique attendue n’est pas un marché… »

Non, c’est un self-service pour renforcer les rupins humanitaires.

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Charles Hugh Smith

C.H. Smith dénonce donc le « Socialisme de la Réserve fédérale pour les super-riches. » Dans notre dystopie-oxymoron, on a à la fois le triomphe du bolchevisme culturel et des super-riches. La ploutocratie totalitaire et sociétale qui enfonce ce monde en enfer a besoin des banquiers centraux pour imprimer, presser et oppresser des billets et des âmes.

Mais laissons parler le pro américain :

Un «marché» qui a besoin de 1000 milliards de dollars en impression panique-argent par la Fed pour conjurer une implosion karmique attendue n’est pas un marché : un marché légitime permet  la découverte des prix. Qu’est-ce que la découverte de prix ? Les décisions et les actions des acheteurs et des vendeurs fixent le prix de tout : les actifs, les biens, les services, le risque et le prix de l’emprunt, c’est-à-dire les taux d’intérêt et la disponibilité du crédit.

On vit dans un marché virtuel bon pour satisfaire Sylvestre et consorts à la télé en boucle : elle abrutit au-delà du réel, celle-là, fuyez-la, ne vous croyez pas plus fort que la matrice ; ce n’est pas qu’ils trafiquent ce qu’ils vous montrent, c’est que ce qu’ils vous montrent et commentent n’existe même pas. Alors ne discutez pas, et décampez.

Charles Hugh Smith encore, repris par l’inégalable Zerohedge.com :

Les États-Unis n’ont pas de marché légitime depuis 12 ans. Ce que nous appelons « le marché » est une simulation grossière qui obscurcit le socialisme de la Réserve fédérale  pour les super-riches : la grande majorité des actifs générateurs de revenus sont détenus par les super-riches, et donc toute l’impression de la Fed qui a été nécessaire pour gonfler les bulles d’actifs à de nouveaux extrêmes ne sert qu’à enrichir davantage les déjà-super-riches.

La bourse accélère le renchérissement de tout puisqu’elle oblige à baisser l’étau d’intérêt qui tue notre épargne (Lagarde s’en félicite !) et fait exploser l’immobilier et le reste. L’écologie démoniaque et malthusienne fait le reste du boulot : certaines villes finissent sans chauffage en Europe du Nord, la transition énergétique étant la destruction énergétique. De Villiers a bien parlé récemment de la destruction de nos paysages par les monstrueuses et donquichottesques éoliennes. Le Monde a révélé que ce sont les mafias qui les bâtissent.

Smith encore :

Les apologistes affirment que les bulles doivent être gonflées pour « aider » l’Américain moyen, mais cette affirmation est absurdement spécieuse.  La majorité des Américains ne «possèdent» presque aucun des actifs qui génèrent un revenu; au mieux, ils possèdent des véhicules à amortissement rapide, une maison qui ne génère aucun revenu et une police d’assurance-vie qui ne porte ses fruits qu’en cas de décès.

La folie de Powell et consorts est criminelle. Smith ajoute :

L’Américain moyen utilise la maison familiale pour se loger, et donc son prix actuellement gonflé ne fait rien pour améliorer le revenu du ménage: c’est de la richesse en papier, et nous avons déjà vu à quelle vitesse cette richesse en papier peut disparaître lorsque la bulle immobilière n ° 1 a éclaté. (La bulle immobilière n ° 2 glisse actuellement vers le bord de l’abîme.).

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La destruction de la bulle ne serait pas forcément mauvaise. C’est vrai du reste, en temps de crise les pauvres comme moi vivent mieux car les prix baissent ! Smith nous dit :

Si la découverte de prix légitime était autorisée, les bulles d’actifs éclateraient et l’impact réel sur le ménage moyen qui possède des actifs productifs de revenus essentiellement nuls serait minime. Leur maison surévaluée tomberait de moitié, mais comme elle sert toujours d’abri, l’impact économique réel est minime. En ce qui concerne les pertes de la compagnie d’assurance-vie – où est aujourd’hui l’avantage d’un «actif» qui ne paie que lorsque vous décédez ?

Smith ajoute sur ce sain marché :

Si le «marché» est si sain, pourquoi en panique la Fed imprime-t-elle plus de 1 000 milliards de dollars en quelques mois ? Veuillez jeter un coup d’œil aux graphiques ci-dessous: la Fed a imprimé 213 milliards de dollars pour le marché REPO et 336 milliards de dollars pour les achats d’actifs, en un clin d’œil, et la Fed a promis de paniquer encore 200 + milliards de dollars de REPO et 300 autres milliards de dollars d’actifs achats, pour un total de plus de 1 000 milliards de dollars en panique-argent-impression.

Il est possible du reste que l’éclatement de la bulle marché-LGTBQ-humanitaire ne serve qu’à renforcer le pouvoir mondialiste (hypothèse du désespéré Brandon Smith). Dans ce cas-là, il vaudrait mieux ne plus faire de grand pas en avant.

Tant que nous ne les effraierons pas, nous nous ferons tondre. Le devenir de la liberté dans ce monde aura été celui du devenir-mouton.

Mais ne désespérons pas…

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr

samedi, 21 décembre 2019

John J. Mearsheimer, “The False Promise of Liberal Hegemony”

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John J. Mearsheimer, “The False Promise of Liberal Hegemony”

 
 
 
Henry L. Stimson Lectures on World Affairs. John J. Mearsheimer, R. Wendell Harrison Distinguished Service Professor of Political Science and the co-director of the Program on International Security Policy at the University of Chicago, gave a series of three lectures in November on “Liberal Ideals & International Realities” for the Henry L. Stimson Lectures on World Affairs at the Whitney and Betty MacMillan Center for International and Area Studies at Yale.  
 
“The Roots of Liberal Hegemony,” November 13, 2017  https://youtu.be/bSj__Vo1pOU
 
“The False Promise of Liberal Hegemony,” November 15, 2017  https://youtu.be/ESwIVY2oimI
 
“The Case for Restraint,” on November 16, 2017  https://youtu.be/TsonzzAW3Mk  
 
Sponsored by the Whitney and Betty MacMillan Center for International and Area Studies and the Yale University Press.
 

vendredi, 20 décembre 2019

Georges Valois pour penser le "grand empêchement" contemporain?

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Georges Valois pour penser le "grand empêchement" contemporain?

Ecouter:
https://soundcloud.com/patrick-p-h-le/georges-valois-pour-penser-le-grand-empechement-contemporain

Avec:

Guillaume Travers, journaliste à la revue "éléments"
Pierre Le Vigan, essayiste (en photo)

Thème : « Georges Valois, pour penser le « grand empêchement » contemporain ? »

Pour écouter (URL):

https://soundcloud.com/patrick-p-h-le/georges-valois-pour-penser-le-grand-empechement-contemporain

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dimanche, 01 décembre 2019

La Droite buissonnière de François Bousquet

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La Droite buissonnière de François Bousquet

par Juan Asensio

Ex: http://www.juanasensio.com

 
Nous avouerons sans peine que l'essai que François Bousquet a consacré à Patrick Buisson, un auteur à réputation médiatiquement sulfureuse que j'avais évoqué dans cette note, se lit non seulement sans peine mais avec un assez vif plaisir : nous sommes là, tout de même, avec La Droite buissonnière, face à un commentateur qui possède ses lettres et sait, à l'occasion, en jouer, à l'inverse des arrivistes incultes que sont Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio pour n'en citer que deux parmi tant d'autres, que Jean-François Colosimo n'hésite pourtant pas à publier au Cerf, sans doute parce qu'il estime que leur surface médiatique est inversement proportionnelle à la qualité de leur prose insipide, et que dire de ce qui leur tient lieu de culture et de pensée. N'oublions pas que cette même Eugénie Bastié a pu être présentée, dans le numéro du mois de juin 2017 de la revue Éléments dont François Bousquet est le rédacteur en chef, comme une authentique insoumise, et que ce dernier a assuré la promotion, à l'occasion d'une conférence au cercle bruxellois Pol Vandromme, du dernier ouvrage d'Alexandre Devecchio, que j'ai surnommé Monsieur Euh... (un Euh... bien appuyé, vous suçant la semelle comme une plaque de gadoue) tant il est incapable d'aligner plus d'un mot sans prononcer celui de son fier patronyme, et qui, habitué du Figaro, n'a pas exactement besoin, euh..., de publicité. Autant de petites raisons, que les nobles âmes jugeront évidemment mesquines et même lamentables ce dont je me contrefous comme il se doit, qui pourraient me faire prendre en grippe une revue qui incarne à peu près tout ce que je déteste : le copinage idéologique à voilure plus ou moins ample, et qui n'épargne à l'évidence aucun organe de la Presse, y compris (surtout sans doute) tel ou tel qui se présente comme absolument pur de toute contamination consanguine.
 
Ajoutons, histoire d'enfoncer le clou ou d'aggraver mon cas ce sera selon, qu'Éléments n'a jamais cru devoir évoquer mon travail si ce n'est il y a fort longtemps, par le biais d'un Ludovic Maubreuil ou d'un Christopher Gérard. Cela ne m'empêche certes pas de dormir, pas plus que mon sommeil n'en a été troublé depuis que j'explore la Zone, mais enfin, quand je vois la place accordée à tant de nullités dont la moindre dégoulinade est tournée en bouche comme un nectar d'intelligence, quand je vois la haute considération entourant le ridicule Renaud Camus, je me dis que cette revue, puisque, à tout le moins, elle ne cesse de se dire indépendante de toute chapelle et de toute alcôve, s'honorerait d'évoquer le colossal travail d'anarque que j'abats depuis des années, et cela sans bénéficier des petites aides et renvois d'ascenseur si communs à droite, à gauche, au centre et aux bords (pour ne pas dire extrêmes). Ces plaisantes saillies, nous le verrons plus loin, ne traduisent pas que mon bannissement de ce type de revue, mais un mal plus profond, en lien direct avec le sujet du livre de François Bousquet : non seulement l'éparpillement des clans, à droite, pouvant peser sur une réflexion politique mais l'absence de véritable socle intellectuel sur lequel en bâtir une, ce qui est infiniment plus grave on me l'accordera.
 
Ce n'est en tous les cas que tardivement que j'ai lu le livre de François Bousquet, alors que je l'avais reçu au mois de mars 2017 en ma qualité de membre du jury de feu le Prix du livre incorrect, qu'André Bonet a récemment sabordé, sans doute pour laisser place nette aux batraciens de L'Incorrect, tout contents de pouvoir ainsi récupérer à moindres frais un intitulé qui leur permettra eux aussi de récompenser les productions de leurs petits copains et seulement elles, voire de les inviter à partager la flache dans laquelle ils barbotent et croassent lorsqu'ils voient passer une blonde à regard vide prénommée Marion, espérant qu'elle daignera leur accorder un chaste baiser qui les transformera aussitôt en Princes de la Chrétienté écrasant de sa superbe germanopratine et de son marteau dialectique le rusé donc fourbe Sarrazin.

FB-drbuiss.jpgMe relisant, je me dis que j'ai finalement du mérite à m'être en fin de compte plongé dans la lecture de l'ouvrage de François Bousquet dont on ne pourra guère m'accuser, du coup, de vanter louchement les mérites qui, sans être absolument admirables ni même originaux, n'en sont pas moins bien réels : mes préventions, toujours, tombent devant ma curiosité, ma faim ogresque de lectures, et ce n'est que fort normal.

J'affirmais que ce gros ouvrage de quelque 400 pages pour une fois à peu près correctement revu (1) se lisait très agréablement, peut-être parce qu'il se place sous les auspice du titre d'un des textes les plus connus de l'excellent critique que fut le regretté Pol Vandromme, sans doute encore parce qu'il évoque bellement des auteurs tels que Georges Bernanos (cf. p. 62) ou encore Pier Paolo Pasolini (cf. p. 36) et Léon Daudet, le gros Léon dont le verbe si extraordinairement pugilesque fut tout sauf rond et bonhomme (cf. p. 64), surtout enfin parce qu'il ne dédaigne pas appeler un chat un chat et une nullité journalistique une nullité journalistique (2) tout en filant, ici ou là, la métaphore, sans trop d'exagération pour que la pratique ne nous paraisse pas une coquetterie censée masquer de véritables lacunes ou faiblesses : «pour le Buisson ardent, le bûcher est toujours allumé» (p. 143) ou bien à propos de l'influent Alain Bauer, dont «l'entregent est transversal et transpartisan» et qui «graisse les gonds des portes du pouvoir ou les grippe au nom des solidarités d'appartenance», les siennes allant «préférentiellement à la franc-maçonnerie et à la police» (p. 348). D'autres font les frais, et c'est heureux, de l'alacrité de François Bousquet, excellent porte-flingue de Patrick Buisson puisque, au rebours des plus basiques règles de la défense rapprochée, il tire avant de désarmer l'adversaire ou plutôt, avec ces guignols malfaisants, l'ennemi. Enfin, un peu d'acidité distillée dans une écriture point aussi insipide que la camomille sirupeuse des sous-pigistes du Figaro et des maréchalistes à jabot transparent, incorrection germanopratine, petits poings roses fermés sous des gants de soie et langue effiloché et filandreuse !

On jugera ces traits de l'esprit des facilités, ce qu'elles ne manquent pas d'être bien sûr, même si elles restent, à une époque où l'essayiste le plus accompli écrit comme un notaire constipé, plus que jamais nécessaires à notre plaisir de lecteur, surtout aussi lorsqu'il s'agit de défendre et d'illustrer l'action d'un conseiller de l'ombre encore vivant sur lequel est tombé à bras raccourci et langue pendue «un syndic d'ambitions médiocres qui ne donnent leur mesure que coagulées contre l'homme seul, qu'il s'appelle le colonel Chabert, le cousin Pons, Vautrin ou Patrick Buisson» (p. 352). C'est sans doute en faire un peu trop dans la paternité d'un homme débarrassé des «affiliations partisanes» et appartenant selon notre commentateur aux irréguliers, aux anarques (tiens !) et aux mauvais esprits (p. 371) pour le coup même si, dans cette défense truculente, François Bousquet est infiniment plus convainquant qu'une Muriel de Rengervé endossant son armure de sainte Pucelle pour porter secours à Renaud Camus emprisonné dans la plus haute tour de son petit château.

Si la forme est agréable, le fond ne démérite pas, puisqu'il se propose d'examiner à l'air libre quelques-unes des racines intellectuelles ayant façonné la pensée politique de Patrick Buisson, que nous pourrions, en collant plusieurs citations de François Bousquet, résumer en peu de mot : une droite, buissonnière donc, autrement dit qui n'a pas eu peur de frôler les pires interdits structurant l'idéologie française et, plus largement, une politique qui «reposera sur l'imitation des pères, par l'émancipation des fils, et proclamera une loi entre toutes supérieure» consistant pour l'homme à s'acquitter, «noblesse oblige» (p. 65), de la charge qu'il a contractée dès sa naissance. Il s'agit donc de sortir, pourquoi pas par l'action du Prince ou plutôt du conseiller du Prince qui est aussi, selon Bousquet, le Prince des conseillers, de l'âge de la «moyennisation» tel qu'elle fut diagnostiquée par le sociologue Henri Mendras, à savoir un «effondrement de la qualité humaine» (p. 91) qui sera ainsi commodément rangée dans les petits tiroirs des pions déconstructeurs maîtres du nouveau monde dans lequel nous sommes d'ores et déjà entrés, où «toutes les identités subsidiaires, voire parodiques», sont recevables, «sauf l'identité nationale» selon les mots mêmes de Patrick Buisson que cite François Bousquet (p. 254).

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Quoi qu'il en soit, le rôle de Patrick Buisson n'est absolument pas à minimiser, malgré l'évidente nullité intellectuelle et la versatilité opportuniste du Président Nabot qu'il a conseillé car, selon François Bousquet, nous avons assisté à un véritable changement «dans l'ordre du discours» et même, n'hésite pas à affirmer l'essayiste, à «une révolution conservatrice», du moins à ses «premières lueurs», Sarkozy en ayant été «l'instrument», «inconscient, somnambulique ou contrarié, comme on voudra» et Buisson le «ventriloque» (p. 364). En fait, tout l'intérêt du livre de François Bousquet, outre celui consistant à reprendre, pour les contrer point par point, les allégations et fantasmes d'une Presse devenue totalement consensuelle et la gardienne du Camp du Bien, aura été de démontrer que «la ligne Buisson», moins que le politique on l'a vu si piètrement incarné par l'époux de Carla Bruni que moque allègrement François Bousquet, se sera efforcée d'agir sur l'ordre symbolique (cf. p. 366), osant de nouveau prononcer, après tant d'années d'une honte si intimement assimilée par les habitants de notre pays démoli qu'elle semble surgir immédiatement prête toutes les fois que naît un Français ne sachant quasiment plus rien de l'histoire grandiose de ce qu'il hésitera à reconnaître comme étant son propre pays, quelques mots chargés de dynamite (autorité, nation, etc.), même si nous avons pour le moins beaucoup de mal à imaginer de quelle façon nous pourrions faire revenir l'assise française, et cela dans ses composantes socio-intellectuelles, dans une «matrice chrétienne» (p. 370) qui ma foi, si elle n'est pas surnaturelle, aura au moins en toute logique théologienne force raison de disparaître, engloutie dans sa médiocrité et sa faiblesse.

Nous touchons-là le centre de l'essai de François Bousquet, que nous pourrions rapprocher des petites remarques ironiques mais pas moins vraies émises en début d'article, et qui n'étaient que faussement superficielles puisque, après tout, le livre de François Bousquet peut se lire, aussi, comme l'analyse spectrale de la droite française ou de ce qu'il en reste : aujourd'hui, le camp de la Réaction que nous opposerons au camp perclus du soi-disant progressisme qui ne fait que du surplace et du rabâchage depuis des lustres, est difficilement tenu par une poignée de petits cercles plus ou moins de droite ou d'extrême droite, mais qui en aucun cas n'accepteront de se fondre en une puissante force capable de porter vers la présidence de la République une personne censée porter et même mettre en pratique ses idées. Nous nous trouvons bien au contraire face à une multitude d'intérêts, parfois profondément contradictoires (la droite royaliste méprise la droite lepéniste qui le lui rend bien, la droite catholique se pince le nez et murmure des oraisons devant la droite païenne qui la trouve fossilisée, la droite anarchiste les regarde toutes de haut), mais qui pourtant ne se privent pas de s'entraider, ou, plus sordidement, de s'entrelécher à l'occasion et suivant les intérêts, petits ou grands. Patrick Buisson a cru ou semblé croire, un temps du moins, que Nicolas Sarkozy, en dépit de sa médiocrité politique et intellectuelle patente, pouvait traduire ces idées de droite, jamais vraiment appliquées, en actes, comme si un homme mille fois plus constant, courageux et intelligent qu'il ne l'aura jamais été pouvait, à lui tout seul, replanter l'arbre français catholique déraciné, conférer une nouvelle harmonie à un organisme privé de vertèbres, de cœur et même de cerveau, pour ne rien dire de l'âme !

BdC-île.jpgReste une autre solution, plus fictionnelle, donc métapolitique, que réellement, modestement politique, sur le papier en tout cas ne souffrant point l'endogamie propre à l'élite française, de droite comme de gauche, solution purement romanesque qu'explore Bruno de Cessole dans son dernier livre, L'Île du dernier homme, et que nous pourrions du reste je crois sans trop de mal rapprocher de la vision de l'Islam développée depuis quelques années par Marc-Édouard Nabe, consistant à trouver, dans la vitalité incontestable des nouveaux Barbares, le sang nécessaire pour irriguer la vieille pompe à bout de force d'un Occident en déclin, d'une France complètement vidée de sa substance, d'un arbre, si cher au Barrès des Déracinés, qui a perdu toutes ses feuilles et ne fait plus de bourgeons. Je doute que cette vision que l'on pourrait à bon droit qualifier de facilement esthétisante ou de dangereusement nihiliste et que je me bornerais pour ma part à prétendre strictement réaliste, ainsi qu'une voie géopolitique méritant, comme une autre, d'être explorée du moins intellectuellement, comme le montre par exemple le propos d'un Michel Houellebecq dans Soumission, je doute donc qu'une telle ligne, fictionnelle au mauvais sens du terme, fictive, puisse être facilement acceptée par Patrick Buisson ou même par son excellent interprète, François Bousquet. Pour ma part, la plus grande des fictions, la plus ridicule des fables serait assurément de croire que la France va être rebâtie autour du sabre et du goupillon : les épées sont de mousse et les curés michetonnent le surnaturel.

Notes

(1) François Bousquet, La Droite buissonnière (Éditions du Rocher, 2017). Je n'ai relevé qu'une seule coquille, outre un détail d'ordre typographique (cf. p. 229) à la page 228, revenue et non pas «revenu» puisque l'auteur évoque la gauche, couvertures de magazines plutôt que «magazine» (p. 356). Notons aussi quelques répétitions malencontreuses de termes à quelques lignes d'écart (comme «jamais» p. 270 ou «également» p. 323).
(2) Mention spéciale à Ariane Chemin, objet, avec sa collègue Vanessa Schneider du Monde du mépris viscéral de l'auteur, en raison de la pseudo-enquête qu'elles ont publiée sur Patrick Buisson en 2015, intitulé Le mauvais génie.

lundi, 25 novembre 2019

Donoso Cortés lu par Carl Schmitt

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Donoso Cortés lu par Carl Schmitt

par Juan Asensio

Ex: http://www.juanasensio.com


Il se peut qu'il faille désormais écrire Cortés au lieu de Cortès, sauf à vouloir être pris pour le dernier des imbéciles dans les petits cénacles réactionnaires parisiens (s'il en reste, ce dont je doute !, ou dans ceux, puant la trouille universitaire se parant du paletot de la distanciation critique, se déclarant non réactionnaires quoique lecteurs d'auteurs réactionnaires), en allant de la sorte contre l'usage orthographique français (1), non seulement le plus ancien mais le plus récent, y compris même au sein de la belle collection La Nuit surveillée dirigée par Chantal Delsol (2).
Il se peut aussi que les universitaires ou les esprits curieux trouvent plus intéressant de lire le très long commentaire, parfois simple paraphrase de Schmitt agrémentée de mots compliqués (3), que Bernard Bourdin inflige à plusieurs textes pourtant assez brefs du grand juriste allemand, plutôt que l'ample présentation que fit jadis du contre-révolutionnaire espagnol Louis Veuillot, et dans un style qui bien sûr n'est point celui de notre commentateur que je qualifierai, pour ne pas l'accabler, de résolument plat.
Dans les deux cas cependant, nous perdons le plaisir de lire un texte écrit en bon français point complètement phagocyté par les notes de bas de page et, hélas, par de bien trop nombreuses et consternantes fautes d'orthographe, et nous gagnons une écriture d'un lyrisme de bibliothécaire constipé, qui ne parvient guère à répondre à cette question par autre chose que de bien pesantes considérations de thésard pour thésard : pourquoi Carl Schmitt s'est-il si visiblement intéressé à Donoso Cortés ?
Certes, faisons justice à Bernard Bourdin, dont les commentaires savants représentent plus de la moitié de l'ouvrage, de bien connaître ce sujet particulièrement ardu qu'est la théologie politique ou encore le «problème théologico-politique» qui, au siècle passé, «est indissociable de la sécularisation» (p. 109), à différencier, apparemment, d'une théologie (ou d'une «anthropologie théologique», p. 136) du politique, tout autant que les textes pour le moins complexes de Carl Schmitt, ce contempteur érudit de l'humanisme libéral et de la «pensée techno-économique» (p. 121), en développant la perspective schmittienne selon laquelle «la théologie a des potentialités politiques, au point de porter les germes de sa propre sécularisation (ou de son immanentisation)» et que, par voie de retour, le politique a «des potentialités théologiques, au risque toutefois de dissoudre les conditions d'exercice de son autonomie» (p. 122). Quoi qu'il en soit, et nous aurons de la sorte résumé l'ample commentaire de Bernard Bourdin, «avec la voie ouverte par Donoso Cortés, puis réhabilitée et systématisée par Schmitt, seul le statut théologique du politique est en mesure de mettre en échec le monopole communiste de l'interprétation de l'histoire ou du siècle» puisque la théologie politique selon Carl Schmitt «lui substitue une interprétation théologique de l'histoire, dont le centre vital est l'Incarnation» (p. 96), un point qui d'ailleurs n'est quasiment pas évoqué par notre exégète. S'il est clair que Carl Schmitt «en appelle à une transcendance théologico-politique» (p. 95), autrement dit, dans les temps troublés qui sont les nôtres, à une décision qui «a une signification imminente ayant un accent eschatologique (qui se confond avec une vision apocalyptique) pour conjurer la catastrophe» (p. 61), nous ne savons pratiquement rien (hormis un passage de quelques lignes s'étendant des pages 23 à 24 du commentaire de Bourdin) de l'idée qu'il se fait du Christ, sur le modèle de la belle étude de Xavier Tilliette consacrée à cette thématique.
donosotimbre.jpgLa deuxième partie de l'ouvrage est consacrée aux textes proprement dits de Carl Schmitt mais il faut attendre la page 157 de l'ouvrage, dans une étude intitulée Catholicisme romain et forme politique datant de 1923, pour que le nom de Cortés apparaisse, d'ailleurs de façon tout à fait anecdotique. Cette étude, plus ample que la première, intitulée Visibilité de l’Église et qui ne nous intéresse que par sa mention d'une paradoxale quoique rigoureuse légalité du Diable (4), mentionne donc le nom de l'essayiste espagnol et, ô surprise, celui d'Ernest Hello (cf. p. 180) mais, plus qu'une approche de Cortés, elle s'intéresse à l'absence de toute forme de représentation symbolique dans le monde technico-économique contemporain, à la différence de ce qui se produisait dans la société occidentale du Moyen Âge. Alors, la représentation, ce que nous pourrions sans trop de mal je crois appeler la visibilité au sens que Schmitt donne à ce mot, conférait «à la personne du représentant une dignité propre, car le représentant d'une valeur élevée ne [pouvait] être dénué de valeur» tandis que, désormais, «on ne peut pas représenter devant des automates ou des machines, aussi peu qu'eux-mêmes ne peuvent représenter ou être représentés» car, si l’État «est devenu Léviathan, c'est qu'il a disparu du monde du représentatif». Carl Schmitt fait ainsi remarquer que «l'absence d'image et de représentation de l'entreprise moderne va chercher ses symboles dans une autre époque, car la machine est sans tradition, et elle est si peu capable d'images que même la République russe des soviets n'a pas trouvé d'autre symbole», pour l'illustration de ce que nous pourrions considérer comme étant ses armoiries, «que la faucille et le marteau» (p. 170). Suit une très belle analyse de la rhétorique de Bossuet, qualifiée de «discours représentatif» qui «ne passe pas son temps à discuter et à raisonner» et qui est plus que de la musique : «elle est une dignité humaine rendue visible par la rationalité du langage qui se forme», ce qui suppose «une hiérarchie, car la résonance spirituelle de la grande rhétorique procède de la foi en la représentation que revendique l'orateur» (p. 172), autrement dit un monde supérieur garant de celui où faire triompher un discours qui s'ente lui-même sur la Parole. Le décisionnisme, vu de cette manière, pourrait n'être qu'un pis-aller, une tentative, sans doute désespérée, de fonder ex abrupto une légitimité en prenant de vitesse l'ennemi qui, lui, n'aura pas su ou voulu tirer les conséquences de la mort de Dieu dans l'hic et nunc d'un monde quadrillé et soumis par la Machine, fruit tavelé d'une Raison devenue folle et tournant à vide. Il y a donc quelque chose de prométhéen dans la décision radicale de celui qui décide d'imposer sa vision du monde, dictateur ou empereur-Dieu régnant sur le désert qu'est la réalité profonde du monde moderne.
Affirmer de notre monde techniciste qu'il n'a pas de tradition, c'est admettre que la pensée qui n'est que technique est purement révolutionnaire car, face à la «logique de la pensée économique, forme politique et forme juridique sont pareillement accessoires et gênantes», en ceci que l'une et l'autre, l'une avec l'autre, convoquent le monde de la représentation, qui est de fait le monde de la hiérarchie et de la verticalité, de «quelque chose de transcendant», autrement dit encore : «une autorité venue d'en haut». Ainsi, «une société construite uniquement sur le progrès technique ne serait donc que révolutionnaire», affirme Carl Schmitt, ajoutant qu'elle «se détruirait bientôt, elle-même et sa technique» (p. 175), probablement parce que la révolution menée méthodiquement jusqu'aux plus profondes racines est le nihilisme triomphateur, auquel la dernière parcelle d'être ne saurait longtemps prétendre résister. L'univers de la verticalité est, par essence, conservateur, alors que celui de la stricte horizontalité rhizomique de la Machine est, par essence aussi si l'on peut imaginer ce que serait l'essence de la technique, révolutionnaire : tournant à vide, la machine se détruit pour construire puis détruire d'autres machines, dans un holocauste de ferraille et de chair réduite à de la nourriture pour ferraille.
C'est dans l'Introduction aux quatre essais composant le texte intitulé Donoso Cortés interprété dans le contexte européen global datant de 1950 que Carl Schmitt, assez bellement, écrit que le nom du philosophe politique espagnol s'est toujours «inscrit dans l'écho de la catastrophe» (p. 187) et même, qu'il se tient «devant notre époque» puisque, «à chaque intensification de l'évolution de l'histoire mondiale, de 1848 et 1918 jusqu'à la guerre civile mondiale globale de notre époque, sa signification a augmenté au fur et à mesure, de la même manière que le danger croît en même temps [que] ce qui sauve» (p. 195; j'ai ajouté que, manquant dans notre ouvrage).
Dans le texte suivant qui est d'ailleurs un extrait de la fameuse Théologie politique de Schmitt, le grand juriste entre dans le vif du sujet en disant de Donoso Cortés qu'il est un décisionniste, lui qui du reste avait qualifié, génialement selon Schmitt, la bourgeoisie parlementaire comme n'étant rien d'autre qu'une «classe discutante», una clasa discutidora (p. 201) : «suspendre la décision au point décisif, en niant qu'il y ait quoi que ce soit à décider, cela devait leur paraître», à Cortés mais aussi à De Maistre, «une étrange confusion panthéiste» (p. 203), Schmitt définissant alors la dictature comme étant non point le contraire de la démocratie «mais de la discussion» puisqu'il appartient «au décisionnisme, dans la forme d'esprit de Donoso, de supposer toujours le cas extrême, d'attendre le Jugement dernier» (p. 204), puisque le «noyau de l'idée politique» est «la décision morale exigeante», et la décision pure, la décision absolue, «sans raisonnement ni discussion, ne se justifiant pas, et donc produite à partir du néant» (p. 206), du néant de la volonté du dictateur qui est capable de trancher face au mal radical que De Maistre tout comme Cortés voyaient à l’œuvre sous leurs yeux.
csdonoso.jpgVoilà bien ce qui fascine Carl Schmitt lorsqu'il lit la prose de Donoso Cortés, éblouissante de virtuosité comme a pu le remarquer, selon lui et «avec un jugement critique sûr» (p. 217), un Barbey d'Aurevilly : son intransigeance radicale, non pas certes sur les arrangements circonstanciels politiques, car il fut un excellent diplomate, que sur la nécessité, pour le temps qui vient, de prendre les décisions qui s'imposent, aussi dures qu'elles puissent paraître, Carl Schmitt faisant à ce titre remarquer que Donoso Cortés est l'auteur de «la phrase la plus extrême du XIXe siècle : le jour des anéantissements [ou plutôt : des négations] radicaux et des affirmations souveraines arrive», «llega el dia de las negaciones radicales y des las afirmaciones soberanas» (p. 218), une phrase dont chacun des termes est bien évidemment plus que jamais valable à notre époque, mais qui est devenue parfaitement inaudible.
C'est le dernier texte, intitulé Donoso Cortés interprété dans le contexte européen global et publié en 1949 qui à nos yeux est le plus intéressant, puisqu'il place l'ambassadeur espagnol dans un «contexte unique d'histoire mondiale qui s'impose de nouveau, depuis 1848, à chaque nouvelle génération de pensée européenne» (p. 238), contexte où des auteurs aussi différents que Bruno Bauer, Friedrich Strauss ou encore Sören Kierkegaard ont exercé leur pensée, ce dernier ayant d'ailleurs, selon Carl Schmitt, porté la critique la plus intense contre son époque : «Il savait qu'à l'époque des masses, ce ne sont pas les hommes d’État, les diplomates ni les généraux, mais des martyrs, qui décident des événements historiques».
Lentement mais sûrement, Carl Schmitt approche de la particularité saisissante du monde dans lequel ont vécu ces penseurs et, plus encore, le lion cherchant qui dévorer qu'ils annonçaient dans leurs textes, à savoir «la reconnaissance distincte de la pseudo-religion de l'humanité absolue, qui a déjà ouvert la voie à une terreur inhumaine». C'est là «un nouveau savoir», poursuit Schmitt, «plus profond que les nombreuses sentences à grande allure de De Maistre sur la révolution, la guerre et le sang» car, en effet, «comparé à l'Espagnol qui a plongé son regard dans l'abîme de la terreur de 1848, de Maistre est encore un aristocrate de la Restauration de l'Ancien Régime, qui a prolongé et approfondi le XVIIIe siècle» (p. 246, l'auteur souligne). Ainsi, «ce que Donoso a à communiquer est autre chose que la philosophie des auteurs conservateurs et traditionalistes, qui pouvaient d'ailleurs l'avoir influencé fortement. Ce sont des éruptions semblables à des éclairs, qui bien des fois fusent d'un nuage, d'une rhétorique traditionnelle de tout autre nature» (pp. 246-7) (5).
Et Carl Schmitt de revenir à ce qu'il pense être le centre ténébreux de l'orage que ces auteurs ont pressenti plus ou moins finement, Donoso Cortés le premier, comme s'il se fût agi d'un très puissant baromètre indiquant une forte baisse de pression que les optimistes ont toujours eu le tort de confondre avec une atmosphère sereine : «Ce qui ne cesse de le remplir d'effroi, c'est toujours le même savoir : que l'homme élevé par les philosophes et les démagogues en mesure absolue de toutes choses n'est aucunement, comme ils l'affirment, une incarnation de la paix, et qu'il combat plutôt, dans la terreur et la destruction, les autres hommes qui ne se soumettent pas à lui» (pp. 247-

Notes
(1) La visibilité de l’Église, Catholicisme romain et forme politique, Donoso Cortés interprété dans le contexte européen global. Quatre essais, constituent ce volume disposant d'un très long commentaire de Bernard Bourdin, à vrai dire un essai à part entière qui s'étend des pages 11 à 137. J'ai parlé d'un nombre assez élevé de fautes orthographiques qui affligent les longs commentaires de Bernard Bourdin (note 1 p. 41, mise et non mis en cause; confrontée et non confronté à la page 46, le et non la premier thème, p. 48, etc.), d'incorrections et d'usages impropres de termes (comme le verbe incombe mal employé à la page 29) sans compter des maladresses de style (un en inutile à la page 30), mais il faut aussi remarquer que l'auteur ne sait visiblement pas de quelle manière insérer une citation au sein de son propre commentaire. Je note que les traductions elles-mêmes de Carl Schmitt, qui constituent la seconde partie de l'ouvrage, portent elles aussi beaucoup de fautes, dont la plus consternante est un «la loi» en lieu et place de «le roi» (p. 214). Soit le texte de cet ouvrage n'a pas été relu et nous voyons là, une fois de plus, les effets désastreux d'économies de bout de chandelle, puisqu'un relecteur/correcteur, du moins faut-il le supposer, l'eût amendé. Soi ce texte a bel et bien été relu et, alors, il faut renvoyer au collège les auteurs responsables d'une telle mauvaise copie.
(2) Rappelons en effet que Théologie de l'histoire et crise de la civilisation était le titre d'un recueil de textes de Juan Donoso Cortés paru, donc, dans cette collection des éditions du Cerf. J'ai rendu compte de ce beau volume ici. Saluons la cohérence d'une politique éditoriale qui, après nous avoir présenté certains des textes du théoricien contre-révolutionnaire, nous donne à lire ses commentaires par le juriste conservateur.
(3) Comme «transcendance théologico-politique» (p. 95), «anthropologie pessimiste» (p. 105) ou même «anthropologie théologique du politique» (p. 136), union de trois termes qui, à eux seuls, mériteraient une thèse !
(4) «Le Diable aussi, pour le nommer, a sa légalité, il n'est pas le néant, par exemple, mais quelque chose, même si c'est quelque chose de lamentable. S'il n'était rien, le monde ne serait pas mauvais, mais le néant. Le Diable n'est pas la négation de Dieu, mais sa pauvre et méchante singerie, qui trouve son châtiment en ce qu'elle a sa propre et épouvantable légalité de développement» (p. 151).
(5) Comme il se doit, une énième faute dépare ce passage, traditionaliste étant orthographié avec deux n.

dimanche, 24 novembre 2019

"Quelle heure est-il en Occident?" - Retour sur Oswald Spengler

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"Quelle heure est-il en Occident?" - Retour sur Oswald Spengler

par Steven Cornu

 
Le Club du Mercredi recevait Steven Cornu le Mercredi 24 Avril 2019. A travers un exposé de la philosophie d'Oswald Spengler, auteur du célèbre "Déclin de l'Occident", notre intervenant, doctorant à la faculté de droit de Nancy, nous entretient des grands cycles historiques qui dictent l'évolution des civilisations et des différentes perceptions philosophiques à leur sujet. Cette perspective de "l'histoire longue" que commencent à réintégrer dans le débat public des personnalités aussi variés que Michel Onfray, Eric Zemmour ou Michel Houellebecq, nous offre un regard nouveau et pénétrant sur les évolutions actuelles de nos sociétés occidentales et sur les perspectives d'avenir de notre civilisation.
 

samedi, 23 novembre 2019

A post-liberal reading list

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A post-liberal reading list

Why is a philosophy that's aligned with the way most people think struggling to go mainstream?

BY

Ex: https://unherd.com

The philosopher Isaiah Berlin said there were two sorts of freedom: negative and positive. Negative freedom is the freedom that comes by refusing all constraints. It is the freedom of not being pinned down, the freedom of the open road, the freedom of walking out from jail and having a world of possibilities before you.

By contrast, positive freedom is the sort of liberty that various forms of un-freedom make possible: the freedom expressed by your fingers dancing up a keyboard is made possible by years of disciplined practice; the freedom of running a marathon is made possible by years of not smoking or drinking or lazing about on the sofa. As the lonely commitment-phobic bachelor may someday come to realise, you can pay a very heavy price for choosing the wrong sort of freedom.

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Liberalism is the politics of negative liberty. And it cuts Left and Right — broadly speaking, going Left on culture and Right on economics. On culture, it seeks to dismantle the cultural impediments to minority flourishing and emphasises the importance of individual choice. It is pro-gay and pro-choice. Many are comfortable with all this, but become distinctly less comfortable when words such as “family” and “motherhood” are considered to be a part of the whole apparatus of oppression and in need of deconstruction.

On economics, liberalism seeks to dismantle the barriers to free trade. With free-market capitalism, the human subject has broken free of the restrictive chains of tradition and religion, those of place and community, those of the family, even of one’s own biology. And with the inevitable forward march of globalisation; the collapse of restrictions on capital flows and financial deregulation; the disintegration of nation state borders, soon the values of the unencumbered self would stand victorious over the whole earth.

A few years after the collapse of the Berlin wall, Francis Fukuyama was so confident that Western liberal democracy had become the only show in town that he declared history to be over — and at its zenith stood the liberal subject triumphant.

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He spoke too soon. Whether history will record its crisis as the financial crash of 2008 or the Trump/Brexit revolts of 2016, liberalism is no longer as cocky as it used to be. Despite its many undoubted gains, liberalism is now recognised as coming with a heavy price tag. In the name of negative freedom, it hollowed out many of the conditions of human flourishing: the solidarity of community, the importance of place and roots, spirituality and religion, the family, the nation state.

Post-liberalism is the attempt to resurrect many of these ideas, not because it is hostile to freedom, but because it seeks to articulate a deeper sense of freedom: positive freedom.

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The peculiar thing about post-liberalism is that even though it aligns with many (perhaps even the majority of) people in the West — Right-wing on culture, Left-wing on economics — few, if any, mainstream political parties have moved in to occupy this space. Gramsci could so easily have been talking about the present moment when he said that a political crisis “consists precisely in the fact that the old is dying and the new cannot be born”.

The following is an attempt to stake out something of an intellectual tradition for post-liberal thought, as it has expressed itself over the last 50 years or so. These are, for me, the top 10 texts that could help us consider the present moment in post-liberal terms.

1. After Virtue, by Alasdair MacIntyre

macintyrevirtue.jpgTop spot must go to Alasdair MacIntyre’s After Virtue (1981). A former Marxist turned Thomist, MacIntyre argued that the moral inheritance of the Enlightenment — the crucible of liberal values — was to strip human life of a sense of purpose or teleology. When morality is rendered merely a question of individual choice, the moral life becomes grounded in nothing other than subjective opinion. And on this flimsy basis, it has struggled to survive.

The choice we have before us, MacIntyre claimed, was Nietzsche or Aristotle (or St Benedict). He prophetically expresses the Gramscian moment as us waiting not for Godot but for a new “doubtless very different, St Benedict”. By which he means, the “construction of new forms of community within which the moral life could be sustained so that both morality and civility might survive the coming ages of barbarism and darkness”.

Another book worth reading alongside After Virtue would be John Gray’s Enlightenment’s Wake. Having been a J. S. Mill scholar for much of his academic life, Gray knows the enemy better than many of its proponents (Mill is a poster boy of classical liberalism). Given the preponderance of religiously minded people in the post-liberal quadrant, it is worth noting that atheists like Gray can equally flourish in this space.

2. Why Liberalism Failed, by Patrick Deneen

deneenlib.jpgSecond spot is shared by two very contrasting approaches, one from the Right and one from the Left. Patrick Deneen’s Why Liberalism Failed (2018) is a bracing attack on the borderlessness of the liberal self. It argues that what was designed to promote freedom instead undermined the very conditions — social, educational, religious — that made genuine freedom possible.

Deneen defends the importance of social institutions, from unions to churches to the family, that sustained human flourishing. And he points out that as human beings come to see themselves as fundamentally separate from each other, only the increasing power of the state can impose order on anarchy. Ironically, then, in the name of (negative) freedom, liberalism stimulates the state into greater acts of control.

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Liberalism: the other God that failed

By John Gray

By contrast, Nancy Fraser’s essay in American Affairs From Progressive Neoliberalism to Trump—and Beyond’ (2017)  carefully articulates how progressive liberalism came to form an alliance with neo-liberal economics, to create what she calls the progressive neo-liberalism of the Clintons and Blair.

Not only does she show how the populism that catapulted Trump into the White House was built upon a dissatisfaction with this alliance, but also, more philosophically, how Left and Right liberalism are brothers-in-arms — a fact that is currently most obviously expressed in the woke capitalism of Silicon Valley and Big Tech.

3. The Road to Somewhere, by David Goodhart

goodhartsomewhere.jpgThe Road to Somewhere by David Goodhart (2017) is credited with the introduction of the important terms ‘somewheres’ and ‘anywheres’ to distinguish between those who are bounded and rooted in place, and those who are mobile and rootless. Many smarted at this distinction, with its implication that those who have benefited from social mobility — or, at least, geographical mobility – have expressed some fundamental lack of loyalty to their community.

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It's a bad time for an illegal immigration amnesty

By David Goodhart

Theresa May’s well known comment: “If you believe you are a citizen of the world you are a citizen of nowhere” presses further on this sensitive spot. But there is little doubt Goodhart’s terminology illuminates a central aspect of the populist complaint against liberal politics. This book can be usefully paired with Simone Weil’s The Need for Roots, first published in English in 1952.

4. Hillbilly Elegy, by J. D. Vance

vanceelegy.jpgThe defence of these ‘somewheres’, often derided as small-town, small-minded ‘deplorables’ is vividly captured by J. D. Vance’s brilliant Hillbilly Ellegy (2016), a sympathetic portrait of his upbringing in the Ohio rustbelt.

Likewise, Christophe Guilluy, in his The Twilight of the Elites (2019), describes how France has been fundamentally divided between the economically successful metropolitan centres and the un-chic periphery — a distinction he uses to explain the whole gilets jaunes phenomenon.

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An elegy for the American Dream

By J. D. Vance

5. Red Tory, by Phillip Blond

In the UK, the post-liberal moment was anticipated by Phillip Blond in his Red Tory (2010) and later by the Blue Labour movement. In the old terms of Left and Right, both were seen as political cross-dressers. Both regard capitalism and socialism as equally flawed, preferring instead something more like an economics of distributivism, where economic activity is subordinate to human interest — see Hilaire Belloc’s The Servile State (1912). For a quick guide to Blue Labour you could do worse than listen to Maurice Glasman’s Confessions or read Adrian Pabst’s The Demons of Liberal Democracy (2019).

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6. Liberalism and the Limits of Justice, by Michael Sandel

Earlier philosophical attempts to expose the limits of liberal politics included the development of communitarianism, associated with thinkers like Charles Taylor and (his student) Michael Sandel. Sandel’s Liberalism and the Limits of Justice (1982) is a more difficult book than one might expect from Radio 4’s user-friendly ‘public philosopher’, but it is an important milestone in the tradition — not least in the way that Sandel takes on John Rawls, in many ways the master thinker of 20th century liberalism.

And, qua Rawls, a special mention here must go to Katrina Forrester’s recently published In the Shadow of Justice: Postwar Liberalism and the Remaking of Political Philosophy (2019). But for my money the two great books of this tradition are Taylor’s magisterial Sources of the Self (1989) and his brilliant little polemic The Ethics of Authenticity (1992).sandellimits.jpg

7. Theology and Social Theory by John Millbank

There is no doubt that post-liberalism — in contrast with many other 20th and  21st century ‘isms’ — has an influential and functioning theological wing. John Millbank’s Theology and Social Theory (1990) is a formidable statement of the argument. It is noteworthy that Phillip Blond began as a theology academic, Red Tory being in many ways an extension of the whole Radical Orthodoxy school that included people like Millbank and Rowan Williams.

Suggested reading
How beauty shapes our fates

By Phillip Blond

Within the church itself, it is Catholic social teaching, growing out of Pope Leo XIII’s Rerum Novarum (1891) and latterly expressed by Benedict XVI, that has proved to be especially influential. From Dorothy Day to Rod Dreher, it is not possible to capture the influence of Catholic social teaching in simple Left/Right terms. These are all Christian references, but pretty much all systems of religious belief carry both pre- and post-liberal convictions.millbanktheology.jpg

8. Why Love Matters, by Sue Gerhardt

Family life is often the entry point of former liberals into a more post-liberal sensibility. Having children often necessitates a certain rootedness, but also the lack of choice involved in who your children are or who your parents are exposes the limits of the liberal idea that we are all contractually related.

Why Love Matters: How Affection Shapes a Baby’s Brain (2004) by Sue Gerhardt is an important take on the science of early mother/child relationships. Pretty much anything by Donald Winnicott and John Bowlby on attachment would fit well under this category.

Suggested reading
Why liberal feminists don't care

By Mary Harringtongerhardtlove.jpg

9. The World Beyond Your Head, by Matthew Crawford

The tradition which follows up on John Ruskin’s emphasis on beauty also feeds into post-liberalism. Roger Scruton on architecture, Jane Jacobs on the importance of neighbourhoods, and increasingly those who try and capture something of the dignity and spirituality of work.

Matthew Crawford’s The World Beyond Your Head (2015) is a brilliant diagnosis of the way in which the liberal Kantian self finds it hard to concentrate in a world of perpetual distraction.

Suggested reading:
The rise of the hippie conservatives

By Freddie Sayers

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10. Prosperity without Growth, by Tim Jackson

Finally, the environment. Here, above all, the liberal idea of continuous and perpetual growth runs up against the distinctly post-liberal idea of the existence of limits. Tim Jackson’s Prosperity without Growth (2011) is of particular interest here. But the person I would read first is the Kentucky poet/farmer Wendell Berry. The World-Ending Fire (2019) is an astonishing collection of essays; The Unsettling of America: Culture and Agriculture (1977) is a work of genius.

This list is very much my own. Others will point to how much has been missed out. But if I were to design a kind of post-liberal curriculum, this is where I would start. In the UK, probably the most successful attempt to translate these ideas into some sort of political programme is that of the SDP’s New Declaration.

jacksongrowth.jpgBut despite the fact that many people exist within the quadrant it describes (Left on economics, Right on culture) it is still struggling to break through. It’s perhaps because it’s easier for the Right to break Left on economics than for the Left to break Right on culture — which is why the Conservative and Republican parties may be more amenable to this sort of thinking than their opponents. But even this is not a natural fit. Which brings us back to Gramsci. The old is dead. The new is yet to be born.

jeudi, 21 novembre 2019

La passion fusionnelle capitalisme-gauchisme

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La passion fusionnelle capitalisme-gauchisme

Ex: http://www.zejournal.mobi

Hier, dans une présentation du texte sur la situation bolivienne, nous avions noté combien l’emploi de certains termes politiques courants au XXème siècle donnait une perception faussaire de la situation :
« Si l’auteur l’ignore, nous ne voulons pas pour notre part ignorer une seule seconde que “les progressistes”, incluant les forces sociétales et une part très importantes des gauchismes, ou “marxistes culturels” aux USA, sont de loin, de très loin au sein du bloc-BAO les meilleurs alliés, complices et frères de sang du Corporate Power, dit également woke capitalism...» (Woke capitalism ? “Capitalisme éveillé”, ou “capitalisme avancé” [politiquement, c’est-à-dire et communicationnellement “avancé” ; c’est-à-dire capitalisme doté d’un masque progressiste qui est quasiment l’équivalent d’une “conscience progressiste”, qui lui est gracieusement fourni par tant de fractions progressistes et gauchistes partageant les objectifs déstructurants et dissolvant du Système, – et le passage in extremis à l’emploi de cette dialectique Système-antiSystème étant dans notre chef extrêmement appuyée et intentionnelle.) »

... Notre exemple-type et institutionnalisé serait bien entendu Daniel Cohn-Bendit, autrefois plaisamment connu dans les salons et les antichambres des barricades sous le surnom de “Dany le Rouge”. Il fut si populaire qu’ils voulurent tous êtres des “juifs allemands” tandis que “Dany le Rouge” se tirait avec adresse et clandestinement de France au Luxembourg (le 28 mai 1968), couvert par l’actrice motorisée pour l’occasion (MG-B décapotable),  Marie-France Pisier qui croyait tourner un film de Godard.

(En fait, ce n’était pas du Godard : tous deux étant un peu lassés de la révolution, ils firent après leur escapade politique, « une escapade amoureuse » selon la délicieuse expression de la Bibliothèque Rose, de quelques semaines en Sardaigne.)

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Aujourd’hui, Cohn-Bendit s’affiche comme un soutien affirmé du néo-libéralisme et de tout ce qui l’accompagne, un parfait exemple d’intellectuel-activiste partisan du capitalisme. A-t-il trahi la “révolution” ? Il affiche également, par son comportement, son aplomb, ses poses, ses convictions sociétales évidemment radicales et son caractère joyeusement supranational, le même entrain libertaire qu’on voyait chez “Dany le Rouge”. Aucune contradiction entre ceci et cela, aucune dissimulation, aucun jeu de rôle. Il est le parfait représentant d’une “passion fusionnelle” entre capitalisme et gauchisme ; on parle du capitalisme postmoderne qui se pare volontiers de vertus progressistes qui sont devenues sa marque de fabrique, c’est-à-dire du gauchisme postmoderne dont le courant libertaire s’exprimant essentiellement du point de vue culturel et sociétal est la plus juste référence postmoderne. 

Le professeur de Liberal Arts à l’université de New York de 2008 à 2019  Michael Rectenwald, auteur de neuf livres dont le plus récent, Google Archipelago, montre sa connaissance des mécanismes de communication postmodernes, a entrepris d’expliquer dans un article pour RT.com pourquoi le Corporate Power est devenu, notamment aux États-Unis et particulièrement dans sa politique générale de communication qui fait aujourd’hui l’essentiel de la posture politique et des engagements qui vont avec, sociétal-progressiste, – ou dit plus justement “est devenu ‘woke’”, selon le mot qui désigne dans le langage sociétal-progressiste cette posture fondamentale. (Le titre de l’article de Rectenwald : « This is the BIG reason why corporate America has gone woke (plus 4 more) ».)

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En termes US, particulièrement à la mode, il s’agit de l’attitude “wokeness” qui, dans cette science dialectique de la postmodernité, a remplacé le terme “cool” et son dérivé “coolness”. D’une certaine façon et si l’on mesure son emprise qui inclut désormais la toute-puissance capitaliste (le Corporate Power), il s’agit de la référence absolue de la structuration de surpuissance du Système. Le Monde , qui n’en manque pas une à ce propos de la fascination qu’il éprouve pour le Système et sa représentation opérationnelle terrestre que sont la dialectique sociétale et le progressisme du système de l’américanisme, nous en a donné il y a un an une appréciation  qui fait frissonner de plaisir les conversations des salons, lors des dîners du “parti des salonards” :

« Woke est dérivé du verbe to woke, « se réveiller ». Être woke, c’est être conscient des injustices et du système d’oppression qui pèsent sur les minorités. Ce terme s’est d’abord répandu à la faveur du mouvement Black Lives Matter (apparu en 2013) contre les violences policières dont sont victimes les Noirs aux États-Unis, pour ensuite se populariser sur le Net. »

Notre auteur Michael Rectenwald expose (en sens inverse dans son article, du n°5 au n°1) les cinq arguments qui expliquent la raison de cette fusion du capitalisme et du gauchisme-sociétal. Les quatre premiers exposés (du n°5 au n°2) sont des arguments de circonstances, qui relèvent d’une politique délibérée :
• les dirigeants postmodernes du Corporate Power sont eux-mêmes “woke”, comme l’on dirait des “enfants de mai 68” ;
• la clientèle la plus intéressante, la plus riche, la plus branchée-consommatrice, est elle-même “woke” (les pseudo-élites des côtes Est et Ouest aux USA, qui composent par ailleurs la clientèle principale du parti démocrate) ; le reste, ce sont les “deplorables” comme les identifia Hillary Clinton, et « les déplorables ont moins d’argent de toutes les façons et ils peuvent aller se faire voir s’ils n’apprécient pas le wokeness du Corporate Power » ;
• « Être woke coûte moins cher que d’augmenter les salaires des employés» : on s’affirme woke, on agit woke, on s’applaudit woke, on fait de la pub woke et tout le système de la communication, la presseSystème, Hollywood applaudissent et travaillent à la promotion des produits ainsi vertueusement fabriqués ;
• l’attitude “wokeness” agit comme un formidable argument face aux élites politiques, aux pressions des gouvernements et à tous leurs relais, terrorisés par tout acte qui paraîtrait mettre en cause un producteur de cette attitude-PC (Politiquement Correcte). 

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Puis l’auteur arrive au cinquième argument, qui est en fait le premier dans l’ordre de l’importance, qui englobe tous les autres et tranche décisivement la question de cette apparemment étrange fusion entre capitalisme et gauchisme.  (« Ci-dessous, je passe en revue certaines des explications possibles du capitalisme modernisé avec la tendance gauchiste du ‘Corporate Power’, – les cinq dans l’ordre inversé, de 5 à 1, –  quatre étant diversement convaincantes, et une [la n°1] étant la plus décisivement convaincante. »)

Michael Rectenwald nous explique alors pourquoi et comment le “wokeness” est si parfaitement constitutif de cette alliance entre la très-grand capitalisme globalisé et le gauchisme postmodernisé. Cette attitude postmoderne et sans précédent pour qui a l’habitude des classifications politiques classiques, représente en fait une synthèse (postmoderne, cela va de soi) de courants bien connus de cette attitude politique classique tout au long du XXème siècle. Il s’agit d’un recyclage massif de tout ce qui a échoué au XXème siècle, pris sous une autre forme, et donnant au capitalisme globalisé la clef d’accès à son rêve globaliste : c’est la victoire du marxisme (ou “marxisme culturel”) sur le capitalisme et la victoire du capitalisme sur le marxisme (ou “marxisme culturel”), – parce que, finalement, l’un est dans l’autre et inversement, puisqu’il s’agit finalement de la même chose, de la même nature, de la même ontologie-Système, puisqu’il s’agit enfin du Système lui-même...

« L’attitude dite-“wokeness” fait elle-même partie du capitalisme globaliste. La politique de gauche est parfaitement compatible avec les agendas des géants mondiaux de l'entreprise et les soutient. Les multinationales et les militants de gauche veulent les mêmes choses :
» • Le globalisme, – ou, en termes marxistes, l’“internationalisme”, – a toujours été un but de la gauche et il est devenu un but des entreprises multinationales. Les seconds élargissent leurs marchés et les premiers pensent qu'ils font avancer l'objectif marxiste du “Travailleurs du monde entier, unissez-vous !”.
» • Immigration sans restriction : Fournit une main-d'œuvre bon marché aux entreprises et donne aux gauchistes le sentiment d'être politiquement branchés et moralement supérieurs pour être des antiracistes qui accueillent tout le monde, –- quelle que soit leur race, leur religion, leur sexe ou leur orientation sexuelle, – y compris les membres de gangs mexicains qui vendent de la drogue et des enfants , – tout cela à la campagne, mais pas vraiment pour camper dans leur salon.
» • Le transgendrisme ou le polygendrisme, la pointe de la politique identitaire de gauche, est également bonne pour les affaires. Elle crée de nouveaux créneaux pour les produits d'entreprise, divise la main-d'œuvre et distrait les gauchistes par des arcanes et des absurdités quotidiennes.
» • Se débarrasser des nations, du genre stable, de la famille, de la culture occidentale et (pourquoi pas ?) du christianisme, –  la marque du “progrès” gauchiste et de la politique d'avant-garde, – favorise également les objectifs corporatistes mondiaux, éliminant tout obstacle à la domination mondiale des entreprises. »

Mais il y a un paradoxe à cette évolution assez rapide et qui s’est imposée avec une puissance inimaginable, de l’alliance entre le gauchisme (gauchisme-sociétal, pour parer cette mouvance des colifichets bling-bling des singularités humaines à caractère sexuel-absolument-libéré) et l’hypercapitalisme néo-libéraliste. Il s’agit de la position de forces marxistes de vieille souche, c’est-à-dire ces vieilles souches soi-disant inspiratrices de nos néo-révolutionnaires alliés au capital, qui restent redevables, à plus ou moins bon escient, et parfois même ridiculement mais qu’importe car seul nous importe le paradoxe, à cette fameuse doctrine. Ces vieilles forces marxistes qui ont gardé du marxisme ce qui leur importait, n’entendent pas une seconde y renoncer, et elles se font implicitement les plus virulents critiques de ces nouvelles forces gauchistes-sociétales, ou “marxistes-cultuelles”. Petite revue non limitative...

• La plus “pure et dure” de ces forces, parmi nos connaissances et nos fréquentations, est le siteWSWS.org de la IVème Internationale trotskiste, extrêmement bien documenté et très largement suivi et influent. Les trotskistes de WSWS.orgn’aiment pas qu’on leur rappelle que les neocons viennent du trotskisme, et de toutes les façons ils les considèrent comme des déviants pathologiques, des traîtres absolus servant d’avant-garde de l’impérialiste capitaliste et américaniste ; ils considèrent de toutes les façons qu’ils ont trahi le trotskisme. La fureur sinon la haine qu’ils entretiennent à l’encontre du gauchisme-sociétal, palpable dans la façon qu’ils dénoncent le mccarthysme des divers mouvements sociétaux type #MeToo et autres sphères de dénonciation du même type, est incommensurable. La défense furieuse qu’ils assurent du cas Julian Assange, victime expiatoire du Système et du gauchisme-sociétal et artisan d’un antiSystème héroïque, est caractéristique de cette position opposée complètement au néo-“marxisme culturel” complice de l’impérialisme.

 • Il y a l’exemple du communisme chinois, qui reste politiquement intraitable à la tête polkitique de cette puissance. Même si la référence marxiste est chez lui purement ornementale, son développement effréné du capitalisme ne nous paraît nullement aller dans le sens du Système, et même au contraire, jusqu’à laisser se développer une finalité qui fait de cette puissance un adversaire potentiel à mort du capitalisme dans sa composante gauchiste-libérale. En Chine, la dimension sociétale caractérisant le gauchisme du Bloc-BAO est traitée par le mépris le plus complet. Nous laissons de côté toutes les tares de l’hypercapitalisme qu’on retrouve chez les Chinois (corruption, immenses fortunes des oligarques) parce que c’est l’inévitable conséquence du Système imposant à tous ses tares, parce qu’enfin il nous paraît probable que cette dimension ne parviendra pas à subvertir la direction communiste, à moins d’un effondrement qui se placerait nécessairement dans le cadre d’un phénomène global et catastrophique d’effondrement emportant tous les rangements actuels pour nous amener devant des perspectives inconnues balayant toutes les analyses et tous les constats présents. 

• Le PC russe est un autre exemple de l’évolution d’un mouvement hérité du marxisme soviétique et qui s’est transformé en une force farouchement nationaliste et souverainiste.

dcb5liGV.jpg... Cette revue de détail nécessairement partielle et non limitative ne signifie en aucune façon qu’il existe, ou que va se créer un front vraiment “marxiste” contre le gauchisme-sociétal qu’on a tendance à assimiler au “marxisme culturel” pour le marier encore plus aisément à l’hypercapitalisme. (Leur “marxisme culturel” est un “marxisme de spectacle”, comme il y a la “société de spectacle” de Debord.) Seule importe cette position d'opposition très diverse à la passion fusionnelle capitalisme-gauchisme-sociétal, comme un socle continuel de critique, de mise en évidence et de dénonciation du simulacre capitalisme-gauchisme-sociétal.

Cela veut dire que l’alliance fusionnelle entre les gauchistes-sociétaux, ou “progressistes-sociétaux”, et l’hypercapitalisme/néolibéralisme est totalement, absolument faussaire par rapport à ses prétentions in fine doctrinales, et qu’elle draine tout ce qu’il y a de pire dans la production du XXème siècle parmi les forces qui ont survécu aux terribles soubresauts de ce siècle. Elle est totalement dépendante du Système, à la fois, enfant et idiote utile du Système, et elle connaîtra nécessairement son sort.  Elle est totalement de son temps catastrophique, et comme lui rangement pseudo-politique, faussaire et catastrophique, qui passera à la guillotine de la métahistoire.


- Source : dedefensa

mercredi, 20 novembre 2019

La démondialisation, l'irruption du politique et l'ère des ruptures

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La démondialisation, l'irruption du politique et l'ère des ruptures

Peuple, société et Etat en Europe

par Irnerio SEMINATORE
Ex: http://www.ieri.be

La démondialisation. Concept économique ou concept politique?

Face aux grands retournements du monde et aux évidences les plus affirmées, il est toujours utile de se poser des questions de fond. Dans le cas de la démondialisation, comme source et effet de répercussions innombrables, faut il la tenir pour un concept économique, ainsi qu'il il semblerait à une première lecture du phénomène ou bien comme un concept politique? Plus loin, ne s'agit il pas d'un nouveau paradigme, désignant un retour des vieux cycles historiques et donc d'une fausse découverte? Au premier abord la démondialisation est présentée comme un modèle alternatif à l'économie néolibérale, fondée sur l'interdépendance des sociétés et donc sur une critique du libre-échange, née d'un courant de pensée hostile au libéralisme et à ses corollaires. Il serait question, par ce terme d'une nouvelle organisation de la société planétaire, soustraite à l'emprise de la finance et caractérisée par un repli autarcique, articulant le cadre local et la dimension internationale. Ses partisans préconisent, au travers de son adoption, une reterritorialisation du développement, plus équitable et plus écologique, privilégiant le marché intérieur au marché mondial, sous le primat d'un protectionnisme national et européen (J.Sapir). L'instauration d'une régulation de la finance mondiale, dans le but d'un développement euro-centré et sur des régions à base civilisationnelles communes, aurait une portée réformatrice incontestable, selon ce point de vue. Or, il n' en est pas ainsi dans une lecture de la démondialisation comme concept politique. Dans ce cadre, la séparation classique entre l’État et la société reprend son importance comme ligne de régulation des inégalités nouvelles et comme remise en cause des interdépendances asymétriques.

Les menaces et la diplomatie globale

La diplomatie globale, pratiquée par Kissinger pour négocier les accords SALT 1 et SALT 2, en fut une application remarquée, puisqu’elle associa les aspects économiques aux aspects stratégiques, en vue de la stabilité à atteindre, en matière nucléaire, entre les Étas-Unis et la Fédération de Russie. De même et de nos jours, la différente régulation des échanges en termes de barrières tarifaires et de prélèvements fiscaux par l'Administration Trump, s'est faite sentir par la prise de conscience de la dangerosité, structurelle et sociale, de la désindustrialisation. Dès lors, a commencé une surenchère de menaces de la part des États-Unis, sans distinction de pays ou d'aires économiques, au nom de l'instinct protecteur du peuple américain. Or la mondialisation, qui avait fait disparaître les oppositions et les séparations traditionnelles entre l’État et la société et avait mis en exergue la contradiction entre la démocratie et l'Etat impérial, a rabaissée le rôle politique de l’État à une fonction technique, de gestionnaire du développement capitaliste. Cette même mondialisation, dont l' apogée date de la première décennie du XXIème siècle, s'inverse progressivement en son contraire, la démondialisation et la réémergence du politique. C'est le moment culminant du monde unipolaire.

La démondialisation, l'irruption du politique et l'ère des ruptures

La démondialisation est l'irruption de la politique dans un monde dépolitisé, l'éveil des oppositions anti-système au cœur de cadres politiques exsangues, neutralisées par la bifurcation d'économie et d'éthique, sous laquelle se cache toujours une pluralité de projets de domination, d'exclusion et de puissance .

En effet, si la mondialisation fut, à l'Est, la conséquence libératrice de la fin du monde bipolaire et des régimes totalitaires (chute du mur de Berlin et fin de la division de l'Europe), elle fut aussi la mère anesthésiante, à l'Ouest, d'une grande illusion, celle d'un monde post-historique, post-national et post-identitaire, un monde dépossédé des passions humaines, culturellement aliéné et embrigadé par l'Amérique.

Ainsi, la démondialisation apparaît aujourd'hui, au plan de la connaissance, comme un retour de l'histoire, de l'existence tragique du monde, de la "jealous emulation", de l’État national et de la souveraineté décisionnelle. Elle est aussi le retour, en Europe, de la différenciation, civilisationnelle et raciale, par opposition à un univers indifférencié, homogène, d'apparence universelle et dissimulateur des ennemis, déclarés et visibles.

La mondialisation a désarmé les nations européennes par son utopie de reconstruction du monde sans effusion de sang et par la négation du sens de la violence armée et des conflits militaires; négation irénique, portée par les fils des fleurs dans la célébration mythique de la culture hippie de Woodstock à la fin de la guerre du Vietnam, par les sitt-in des campus américains et par la vocation déstructurante de Mai 68.

Et enfin la mondialisation a étreint l'Europe, spirituellement amorphe, entre l'Amérique impériale et l'immense Eurasie des tsars, de l'Empire du milieu et du Soleil Levant.

Peuple, populisme et nouveau "compromis historique"

Au sein des vieux cadres institutionnels, l'irruption du politique a sonné, en Europe, l'éveil des peuples, sous la bannière inattendue du populisme, suggérant l'exigence d'un nouveau compromis historique entre le demos et les élites.

C'est au plan spirituel et historique que la démondialisation représente au fond l'achèvement de l'ère des neutralisations et des dépolitisations, débutée il y a deux siècles et le retour aux antithèses de la démocratie et de l’État constitutionnel libéral, faisant de l'évolution de la forme d’État, un piler de référence et de protection, qui, parti de l’État absolu du XVIIIème, a abouti d'abord à l’État neutre ou non interventionniste du XIXème, puis à l’État total du XXème et enfin à l’État gestionnaire d'aujourd'hui.

Ce type d’État a égaré sa raison d'être profonde, la sécurité des citoyens et l'identification de l'ennemi et recouvre désormais la représentation d'un demos hostile et islamisé, conjuguant,en sa forme fusionnelle, l'irrationalisme éthique des religions et le fanatisme fondamentaliste des idéologies.

Par ailleurs, la société civile est devenue la proie de cet ennemi intérieur, un conglomérat étranger, invasif, déraciné et violent, politiquement enhardi contre les intérêts et les besoins, mais aussi les convictions, les valeurs et les formes culturelles de vie, appartenant aux traditions européennes, détournées de la civilisation occidentale.

Le peuple, menacé de désagrégation par une immigration massive, a-t-il voté pour sa mise à mort démographique?

De figure secondaire et apparemment inessentielle à la mondialisation, l’État souverain est devenu à nouveau incontournable et le "peuple" resurgit contre la démocratie, convertie en utopie diversitaire et en régime mis sous tutelle par les juges et par leurs sanctions liberticides.

Le "peuple", cette figure exaltée et honnie de l'histoire, fera-t-il table rase de la "révolution" multiculturelle, en sujet vengeur de son aliénation forcée et en réaction à sa mise à mort identitaire ? Une mort qui commence par la dissolution de son histoire et de son passé, promue par le gauchisme intellectuel et par le recours à une "histoire métissée" (P. Boucheron).

Sera-t-il cagoulé et corseté, dans la chemisole de force d'une souveraineté des élites, affranchie de tout contrôle référendaire et échappant à la colère du "souverainisme" populaire?

Une insurrection d'ampleur mondiale (Ivan.Krastev) apparaît de moins en moins comme une hallucination intellectuelle, car la réponse à l'irruption du politique à l'âge de la démondialisation se résume à la question : "l'Ouest doit-il adopter ou refuser  la démocratie illibérale théorisée à l'Est?"

La démocratie illibérale et l’État souverain, entre compétition économique et compétition politique

Or, si la fonction du politique se transforme dans les démocraties avancées, la démondialisation fait du peuple un acteur incontournable des contre-pouvoirs, un sujet de changement qui arrive au pouvoir, pour restaurer la démocratie trahie par les élites cosmopolites.

En termes politiques, la mondialisation a représenté la dissolution et le déclin de l’État classique européen, celui du "Jus publicum Europaeum", comme cadre des relations inter-étatiques, qui s'est fragmenté et polarisé depuis. Ce cadre, dominé par les appétits de puissance, demeure celui de toujours, le champ d'une compétition belliqueuse, où l'état d'hostilité et de guerre peut reprendre à tout instant, puisque, dans le monde des Léviathans, "Pugna cessat, bellum manet" (le combat cesse, mais la guerre demeure).

Ainsi, en guise de synthèse, si la mondialisation a été emblématisée par la chute de la bipolarité et la financiarisation de l'économie mondiale, russe et chinoise, la démondialisation représente la crise politique et morale de ce système et ouvre sur  une série de conflits qui se succèdent et s'installent dans la durée, de nature ethnique, sociale et  géopolitique: en Europe, le Brexit, l’Ukraine, l'invasion migratoire et, à proximité immédiate, la Syrie, l'Irak, l"État Islamique, la Turquie, reconfigurant les alliances et secouant leurs fondements et leurs principes (l'Otan en état de mort cérébrale - E.Macron).

Dans le système international, le déplacement du centre de gravité du monde de l'Ouest vers l'Est et, en ce qui concerne l'Occident, la rupture de légitimité entre les peuples et leurs élites et la crise de l’État démocratique, ajoute à ces critères, un épuisement des formes dominantes de pensée, qui quittent le terrain de la morale humanitaire et des droits de l'homme, pour s'orienter, dans les relations inter-étatiques, vers le réalisme et, dans les relations internes, vers le conservatorisme et le populisme.

A ce sujet,une nouvelle séparation prend forme en Europe entre les États libéral-démocratiques de l'Ouest et les États illibéraux de l'Est.

La fin du "statu quo " et la critique de la modernité

En effet, la crise du mondialisme et l'inversion de son son procès, la démondialisation, marquent la fin de la légitimité du "statu quo" et celle de l'institution qui l'emblématise, l'Union Européenne, puissance antithétique aux mouvements de l'histoire.

Or, dans l'impossibilité de faire revivre le passé, se pose l'éternelle question de toute impuissance politique: "Que faire face à l'avenir?"

La restauration du passé est donc une restauration du mouvement de l'histoire , le refus du primat de la société civile sur l’État et le retour des passions politiques, populaires et nationales. C'est aussi le retour du religieux qui structure le rapport au monde du sujet collectif et qui appelle à la critique de la modernité radicale et à l'esprit de déconstruction qui l'accompagne

Comme inversion du pouvoir globalisé, la démondialisation met en crise les tyrannies modernes, déconnectées du réel, dispersées en oligarchies solidaires et dressées contre les intérêts des "peuples".

La "gnosis globalisante", la vengeance de l'histoire et le temps des orages

Aux grandes portes de l'avenir, l'optimisme le plus débridé s'attend à un nouveau krash mondial, signalé par la névrose d' un ralentissement économique synchronisé et par une démondialisation étendue.

Celle-ci comporte l'enchaînement disruptif de trois arcs de crise, du Sud-Est asiatique, du Proche et Moyen Orient et de l'Europe de l'Est, secoués par une confrontation des modèles économiques, sociétaux et culturels, que le choc de civilisations, opposant Orient, Occident et Islam, aggravera avec force incendiaire.

Ainsi le siècle que nous vivons verra la coexistence d'une nouvelle guerre froide, d'une confrontation globale permanente et d'une lutte de classe des peuples et des nations, à l'échelle continentale.

L'âge des révolutions et des guerres civiles n'est pas terminée, car une immigration massive et incontrôlée fera de la démographie, de la religion et de la culture le terrain privilégié d'un affrontement, armé et violent, où se décidera du sort de l'Occident.

Portant atteinte à l'être des nations, la "gnosis globalisante", ouvrira un horizon de vide intellectuel sur la fin d'un monde, travaillé confusément par la déconstruction du passé et par la recherche d'une espérance, qui était assurée autrefois par les grandes métaphysiques et promise, puis trahie, par les trois concepts-clé de la modernité et de la révolution des Lumières, "liberté, égalité, fraternité".

Pendant ce temps, à l'âme corrompue et malade, le monde européen, abandonné par sa civilisation, connaîtra la déshérence existentielle, avant le moment des orages et la vengeance de l'histoire.

 

Bruxelles, le 9 novembre 2019

lundi, 18 novembre 2019

Tarte à la crème et superstition : « l’Etat de droit »

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Tarte à la crème et superstition: «l’Etat de droit»

par Antonin Campana

Ex: http://www.autochtonisme.com

 

Sur les plateaux de télévision, journalistes de cour et politiciens, nous resservent, jusqu’à la nausée, l’expression « Etat de droit ». Il s’agit d’un concept frauduleux qui ne veut rien dire et dont ils seraient bien en peine de nous donner même l’orthographe.

Faut-il écrire en effet « Etat de droit », avec une majuscule, ou « état de droit », sans majuscule ? La question est bonne car si l’on parle « état de droit », on parle d’une situation comme dans « état d’urgence » ou « état de siège ». Mais si l’on parle « Etat de droit », on parle d’un « corps politique » comme dans « Etat souverain » ou « Etat démocratique ». C’est tout au-moins la définition de l’Académie française qui précise : « Ainsi écrit-on : Rousseau imagine le passage de l’état de nature à l’état de droit mais La République française est un État de droit ».

N’allons pas si vite !

Si l’on parle « état de droit », on parle donc d’une situation dans laquelle les individus sont en état de disposer de « droits », ou de faire valoir un droit. De ce point de vue, l’ancien régime organise un « état de droit » tout comme d’ailleurs l’Etat soviétique, ou même n’importe quel autre Etat, puisque tous accordent des droits à leurs ressortissants !  Il y a un droit d’ancien régime, un droit soviétique, un droit Khmer rouge ou un droit musulman, comme il y a un droit républicain. Les individus, quels que soient l’époque et le lieu, sauf s’ils sont esclaves (et encore !), évoluent le plus souvent dans un « état de droit ». Mais, bien sûr, sous peine de s’interdire de sublimer l’Etat républicain, ce n’est jamais avec une minuscule que journalistes de cour et politiciens appréhendent « l’Etat de droit ».

Il faut remonter à Rousseau pour comprendre comment le concept s’est progressivement doté d’une majuscule. Le philosophe décrit le passage de « l’état de nature » à « l’état civil ». Or, « l’état civil » dont il est question ici, l’Académie française le souligne, correspond effectivement à « l’état de droit ». L’état de nature correspond à une époque où les hommes, vivant isolés les uns des autres, disposaient de droits issus de leur nature (sic !). Ce sont les « droits naturels » : la liberté, le droit de posséder des biens, la sûreté, la résistance à l’oppression. L’état de droit correspond quant à lui au moment où les hommes isolés établissent un « Contrat » par lequel ils font société, en échange de quoi la société ainsi créée s’engage à protéger leurs anciens droits naturels. Cette « agrégation » (Rousseau) humaine forme ainsi une « république » centrée autour des droits naturels de l’Homme. La liberté naturelle, écrit Rousseau devient la liberté civile. Les possessions deviennent des propriétés. Bref, la vie des individus autrefois régit par leur nature (« état de nature ») est désormais régi par le droit (« état de droit »).

On sait que la République « française » se veut agrégation d’individus selon les termes d’un contrat social, ou pacte républicain. Or le contrat en question est constitutionnellement fondé sur les droits naturels de l’Homme, droits qu’énonce la Déclaration des droits de l’homme, Déclaration qui forme le préambule de la Constitution du régime et que les républicains ont judicieusement placé au sommet de la hiérarchie des normes. L’Etat républicain étant soumis à un droit supérieur à lui-même, qu’il ne peut violer (les droits naturels de l’Homme), on considère qu’il est une simple « personne morale » soumise au droit comme le sont les individus. Tour de passe-passe idéologique : il devient alors un « Etat de droit » !

Ainsi, de l’état de nature, on est passé  à l’état de droit (avec une minuscule). Puis de l’état de droit (avec une minuscule) on est passé à L’Etat de droit (avec une majuscule) ! Il s’agit d’une véritable escroquerie intellectuelle :

  • Les droits naturels n’existent pas. C’est une fable pour enfants. La nature ne concède pas plus de droits à l’homme qu’à la mouche ou au ver de terre. D’éternité, le seul droit naturel qui existe est le droit du plus fort. C’est triste, mais c’est ainsi.
  • L’état de nature n’existe pas davantage : les hommes ont toujours vécu en société, même aux temps simiesques ! Et comme toute société, même simiesque, concède des droits (et des devoirs) à ses membres, nous pouvons dire que les hommes ont toujours vécu dans un état de droit.
  • L’état de droit n’est donc pas plus lié au droit naturel qu’au Contrat social. C’est la situation des hommes qui vivent en société.
  • La prétendue soumission du régime aux lois d’une Transcendance absolue, qu’il a lui-même imaginé pour le servir et assurer sa pérennité, nonobstant l’hypocrisie de la construction, fait de ce régime un régime théocratique. C’est en effet la marque de tous les régimes théocratiques que de se soumettre à un droit supérieur à eux-mêmes. Sont-ils des Etats de droit d’un point de vue républicain ? L’Etat islamique (Daesch) se soumet à la Charia. Est-ce un Etat de droit ?    

Revenons sur ce dernier point car il exprime toute la duplicité du régime. Imaginez un régime qui refuse qu’on le remette en cause (Constitution, code pénal…) ; imaginez un régime qui fabriquerait une Transcendance (les droits naturels de l’Homme) qui le justifierait de ses lois ; imaginez un régime qui nommerait des prêtres (les juges) pour interpréter les lois des hommes selon leur conformité aux lois de la Transcendance ; imaginez que l’interprétation de ces haruspices conforte toujours la république universelle au détriment de la nation… et vous aurez une idée très claire de ce qu’est la république « française ».

L’idée que la république est un Etat de droit en raison de sa soumission à des règles révélées, relève d’une foi corrompue et d’une croyance délirante. La République n’est pas un Etat de droit. C’est un Etat morphothéocratique, qui ne se distingue en rien des Etats théocratiques que nous connaissons, si ce n’est qu’il a lui-même inventé un dieu sur mesure, pour servir ses intérêts sociopolitiques et réaliser une universalité fantasmée depuis 1789.

La République n’est pas un Etat de droit : c’est un droit d’Etat. Un droit d’Etat totalitaire qui produit un état de droit dans lequel seuls les individus abstraits sont reconnus, un droit d’Etat qui dissout les peuples et qui engendre des agrégats artificiels. 

Nous avons parlé des haruspices. Dans l’antiquité, ils ouvraient les entrailles des animaux pour connaître la volonté divine. Aujourd’hui, ce sont des Juges qui ouvrent les Tables de la Loi naturelle pour dire les volontés de la Transcendance. La comparaison s’arrête là, car même si les haruspices étaient consultés à Rome, ils n’avaient aucun pouvoir. Nos haruspices modernes, juges du Conseil d’Etat, membres du Conseil constitutionnel, magistrats… sont les gardiens républicains du dogme révélé et leurs sentences sont exécutoires. Pour le plus grand bien de la République, qui s’affranchit ainsi du peuple : voici venu le temps du « gouvernement des juges » !

Il ne faut donc pas se laisser enfermer dans la mythologie de l’Etat de droit. Accepter cette idée, c’est accepter la fable des « droits naturels », c’est accepter l’idée que ces « droits naturels » révélés et déifiés constituent une transcendance dont la République serait l’Eglise et les juges des prêtres. C’est surtout oublier que la République est pour notre peuple une tyrannie qui s’est imposée et perpétuée avec une violence inouïe et un droit aussi arbitraire que populicide.

Face à la superstition républicaine des droits naturels et aux croyances irrationnelles en l’Etat de droit, il nous faut donc affirmer que ce sont les peuples qui sont au sommet de la hiérarchie des normes, et non la religion des droits de l’Homme ! Autrement dit, si l’obscurantisme idolâtre la superstition bricolée, l’autochtonisme doit évoluer dans la lumière des peuples enracinés.

Antonin Campana

dimanche, 17 novembre 2019

Alexander Markovics: La place de l’Europe dans un monde multipolaire – éléments d’une pensée populiste révolutionnaire

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Alexander Markovics:

La place de l’Europe dans un monde multipolaire – éléments d’une pensée populiste révolutionnaire

Ex: https://katehon.com

Le monde multipolaire naissant est une révolution géopolitique. Elle marque non seulement un changement de paradigme par rapport au court moment unipolaire établi par les États-Unis après 1991, mais aussi la fin de l’hégémonie occidentale. Le processus de multipolarité en cours est en faveur des différentes civilisations et contre le projet libéral de mondialisation. Alors que la mondialisation tente d’unifier le monde sous un seul système politique, une seule idéologie et une seule civilisation, la multipolarité proclame la diversité des différents systèmes politiques, des différentes idéologies et des différentes civilisations.

La multipolarité et le moment populiste

La question se pose donc :« Quelle est la place de l’Europe dans ce monde multipolaire ? » La position actuelle de l’Europe est dans l’orbite des États-Unis. Après 70 ans d’atlantisme, l’Europe semble incapable d’exprimer ses propres intérêts géopolitiques. Mais comme Hölderlin l’a dit : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. » Le moment populiste a donné naissance à des mouvements comme les Gilets jaunes et les partis de toute l’Europe qui déclarent la guerre aux élites libérales. Mais même les mouvements et partis populistes manquent d’une stratégie conséquente contre le mondialisme et le libéralisme. Les attaques des mondialistes sont dirigées contre le cœur de la civilisation européenne. Le christianisme et ses églises sont profanés, les peuples se dissolvent dans les « eaux glacées du calcul égoïste » (dixit Karl Marx), la famille est défiée en tant qu’elle serait un instrument d’oppression, la différence des sexes est attaquée pour représenter le patriarcat dans l’idéologie dominante du genre, pendant que le transhumanisme veut même abolir l’humain pour libérer l’individu. Pour résumer le péril actuel : le libéralisme attaque sur plusieurs fronts. Or, les populistes ne décident de se battre que sur quelques-uns d’entre eux, surtout parce qu’ils ne comprennent pas l’importance de ces batailles. Jusqu’à présent, ils ne remettent en question que certains aspects de l’hégémonie libérale et n’ont pas une vue d’ensemble de la situation. Ils appellent à la fin des migrations massives, mais ne remettent pas en cause l’OTAN qui détruit la patrie des peuples du monde entier. Ils restent silencieux sur le problème du capitalisme qui détruit leur propre culture et leur religion chrétienne, tout en criant « N’islamise pas notre américanisation ! »

Les deux pères fondateurs de la pensée populiste révolutionnaire: Gramsci et Schmitt

Tous ces aspects de la guerre intellectuelle qui sévit actuellement en Occident nous montrent le gravite apocalyptique du moment historique que nous vivons. Il est donc plus important que jamais de prendre les armes et de choisir un camp. Dans le cas de l’Europe, nous pouvons choisir entre les élites actuelles et leur fin de l’Histoire, ou la cause des peuples et la continuation de l’Histoire. Ce qui fait actuellement défaut aux populistes de toute l’Europe, c’est une théorie révolutionnaire. Mais où peuvent-ils la trouver? Il faut d’abord regarder dans l’entre-deux-guerres où l’on retrouve l’intellectuel communiste Antonio Gramsci et le conservateur révolutionnaire allemand Carl Schmitt. Dans la pensée de Gramsci, nous pouvons examiner sa théorie de l’hégémonie afin de mieux comprendre comment fonctionne le régime libéral actuel. Si nous adaptons correctement les idées d’Antonio Gramsci, nous nous rendons compte que nous retrouvons l’idéologie libérale non seulement dans des phénomènes comme les migrations massives et la détérioration de la sécurité intérieure ou de l’économie capitaliste, mais aussi dans l’unipolarité géopolitique et surtout dans le domaine culturel. Par conséquent, une résistance contre l’hégémonie libérale sur l’Europe reste futile, si elle n’est dirigée que contre un aspect de celle-ci. Si le populisme ne vise qu’un ou deux aspects de l’hégémonie, il reste un exemple de plus de « modernisation défensive » et échouera à long terme, comme l’a déclaré la philosophe politique Chantal Mouffe. L’émergence du populisme signifie que le politique est revenu en Europe et que nous, Européens, pouvons choisir entre différents projets hégémoniques. Le libéralisme n’est qu’une possibilité. Un populisme révolutionnaire orienté autour des principes de la Quatrième Théorie Politique en est une autre. Telles sont les conditions intellectuelles préalables à une Europe souveraine dans un monde multipolaire.

Le pouvoir tellurique, Katehon Europa et l’État-nation

Dans le domaine de la géopolitique, les populistes doivent redécouvrir l’opposition de Carl Schmitt entre terre et mer. Schmitt met en évidence le lien entre la puissance maritime et les idées progressistes, et d’autre part le lien entre la puissance terrestre et le conservatisme. Comme Alain de Benoist l’a encore formulé en se référant à Zygmunt Baumann, la puissance de la mer essaie de tout transformer en état liquide, donc elle « liquéfie » le capital et les migrants pour les laisser circuler comme la mer.Pour résister à la mondialisation, l’Europe a besoin de devenir un « Katehon Europa », sur le modèle du concept inventé par Carl Schmitt de grand espace européen uni, afin qu’il puisse se dresser contre l’Antichrist. À bien des égards, cela signifie que l’Europe doit revenir à ses racines géopolitiques. Tout d’abord, elle doit reconnaître que l’État-nation, en tant qu’enfant de la modernité, a) n’est plus en mesure d’assurer sa sovereniteet b) n’est pas un protecteur du peuple, mais un agent des intérêts bourgeois.

Le sujet de la pensée populiste: le peuple

Le développement d’une pensée populiste révolutionnaire nécessite de mettre l’accent sur le sujet du peuple. Contrairement à la nation, le peuple n’est pas une communauté artificielle, mais un organisme historique. Il ne s’agit pas d’individus isolés, mais de personnes qui trouvent leur place au sein de la communauté. Alors que les nations ne connaissent qu’une humanité politiquement accentuée au-dessus d’elles et trouvent leur conclusion logique dans l’état actuel du monde, les différents peuples sont des pensées de Dieu comme le conclut Herder. Au-dessus des peuples, nous ne trouvons que les civilisations, composées de différents peuples partageant la même religion, la même histoire et le même espace commun. Chaque peuple isolé est condamné à être liquidé par l’Occident, mais unis comme une civilisation, ils peuvent contrer la tempête.

La multipolarité et le Heartland distribué

Il est donc impératif qu’une civilisation européenne unie forme un empire commun au sens traditionaliste afin de garantir la paix au niveau national et de défendre sa souveraineté face à l’assaut mondialiste. De plus, la montée des civilisations russo-eurasienne, chinoise et iranienne-chiite a prouvé ce qu’Alexandre Douguine appelle le Heartlanddistribué. Il n’y a pas qu’un seul Heartlandcomme l’envisage Halford Mackinder, mais plusieurs. En tant qu’Européens, nous en avons un, l’un d’entre eux, notre Heartlandspécifique de l’Europe. Cela signifie que nous devons abandonner le « fardeau de l’homme blanc », le messianisme libéral des droits de l’homme, la (post-) modernité, le progrès et les Lumières. Nous devons nous confronter à la xénophobie. Ce n’est que lorsque nous aurons abdiqué notre arrogance et nos superstitions que nous pourrons prendre place parmi les civilisations égales et revenir à notre héritage chrétien traditionnel. Si les populistes européens tirent les fruits de ces leçons, en laissant de côté les différences entre la gauche et la droite et en formulant un programme révolutionnaire dirigé contre la mondialisation et le libéralisme dans toutes ses dimensions, ils peuvent gagner. La multipolarité dans sa dimension intellectuelle et géopolitique est la clé pour rendre à l’Europe son destin. Mais comme dans toute lutte de libération, les Européens eux-mêmes doivent faire le premier pas pour sortir de l’hégémonie occidentale.

La fin du césarisme: réflexion et autocritique comme clés de la multipolarité européenne

Une théorie révolutionnaire doit permettre non seulement aux populistes de toute l’Europe de faire la différence entre ami, ennemi et ennemi principal, mais aussi de créer une stratégie pour libérer l’Europe du libéralisme. Une théorie sophistiquée permet également l’autocritique et met fin au césarisme insouciant au sein des mouvements et partis populistes. Des exemples tragiques de gouvernements populistes qui échouent à cause du césarisme comme en Italie et en Autriche appartiendraient au passé.

Multipolarité: les civilisations unies contre le mondialisme

Comme on peut le voir, la multipolarité offre de grandes chances de lutter contre les forces de la mondialisation pour mettre fin à leur avancée. Nous en avons été témoins sur le champ de bataille syrien, où la Russie et l’Iran ont empêché la chute du Président Bachar al-Assad et la montée de l’État islamique. Au Venezuela, la Russie et la Chine ont réussi à aider le Président Maduro à résister à la déstabilisation et au changement de régime orchestré par les États-Unis. Si nous considérons ce potentiel d’un front anti-impérialiste composé de différentes civilisations unies contre la mondialisation, il serait logique que l’Europe s’y joigne aussi à long terme. Il est donc impératif pour l’Europe de laisser l’Occident derrière elle et de former son propre pôle dans l’ordre mondial multipolaire à venir.

Source : Fluxing 

vendredi, 15 novembre 2019

Démocratie illibérale ou démocratie libérale?...

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Démocratie illibérale ou démocratie libérale?...
 
par Hervé Juvin
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au libéralisme comme ferment de dissolution de la démocratie. Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

Démocratie illibérale ou démocratie libérale ?

Publiée à l’initiative de l’ONG « Open society », une récente étude conduite dans six pays de l’Est européen traduit une défiance croissante envers la démocratie, accusée de ne pas tenir ses promesses. L’étude fait écho aux déplorations rituelles entendues au Parlement européen au sujet des menaces sur la démocratie que feraient naître les populismes, les nationalismes et les régimes autoritaires. Sont visés les habituels suspects : la Hongrie, la Pologne et autres démocraties désignées comme « illibérales » par leurs accusateurs.

La démocratie libérale en « Occident »

La démocratie se porte mal, chacun le constate. Mais tous oublient de définir leur sujet ; qu’est-ce que la démocratie ?

L’histoire de longue période répond, c’est l’autonomie des peuples. Leur capacité à décider eux-mêmes de leurs lois, de leurs mœurs, des conditions d’accès à leur territoire, de qui les dirige. Et c’est la conquête des Lumières et de la liberté politique, contre l’hétéronomie qui fait tomber la loi d’en haut, du Roi, de Dieu ou du Coran.

Si démocratie signifie autonomie du peuple et respect de la volonté populaire, c’est sûr, la démocratie se porte mal. Des exemples ?

Aux États-Unis, la CIA prétend défendre la démocratie contre un Président élu. Dans un entretien surréaliste, Paul Brennan et l’ancien directeur de la CIA affirment leur légitimité à défendre les États-Unis contre le Président Trump. Chacun sait la part que FBI et CIA, devenus États dans l’État, jouent dans la succession de complots visant à destituer le Président élu. Au nom d’une légitimité procédant d’un autre ordre que celui de l’élection et manifestement supérieure à elle ; désignés par Dieu, sans doute ?

Partout en Europe, en particulier en Hongrie, des ONG et des Fondations financées de l’étranger, notamment par MM. George Soros, Bill Gates, les Clinton et quelques autres, prétendent changer la culture et l’identité des peuples européens à coup de milliards et des réseaux qui contrôlent une grande partie de la presse, des élus et des think tanks européens.

Démocratie ? Non, usurpation du pouvoir. Capacité de nuire par l’achat des consciences et des lois. Ploutocratie manipulant les minorités bruyantes pour terroriser les majorités. Et nouvelle hétéronomie qui donne le pouvoir à l’argent, et permet aux mafias de la gestion financière, des big pharma ou de l’agro business de choisir les dirigeants avant tout vote — voir le Brésil, ou la France.

En Grande-Bretagne, le Parlement britannique a fait échouer toutes les tentatives de rendre effective une décision votée par referendum à une claire majorité ; sortir de l’Union européenne. Face à Theresa May comme à Boris Johnson, le Parlement croit agir au nom de mandats qui délèguent aux députés le pouvoir de voter au nom du peuple ce qu’ils jugent bon, contre la volonté du peuple, alors que les Tories demandent que le Parlement respecte la volonté du peuple exprimée par referendum.

Chaque jour ou presque, au nom de l’idéologie de l’individu qui ignore le citoyen, au nom des « LGBTQ+ » qui priment la famille, au nom de l’industrie du vivant qui entend faire de la reproduction humaine et du corps humain un produit comme les autres, le Parlement européen déclare, dispose et vote des textes contre lesquels la majorité des peuples européens se dresse. Chaque jour ou presque, des juges, des cours et des comités bafouent le sens commun, l’opinion et la volonté de la majorité des Européens. Et chaque jour, le droit de l’individu détruit un peu plus ce qui reste de la démocratie en Europe.

Libéralisme contre démocratie ?

La situation est sans ambigüité ; le libéralisme est devenu le pire ennemi de la démocratie. La liberté de l’individu qui nie le citoyen et détruit l’unité de la Nation en finit avec la liberté politique, la seule qui compte vraiment. Car les droits de l’individu sont devenus une nouvelle hétéronomie, dont les juges sont les imams et les tribunaux, les mosquées d’où émanent les fatwas contre tous ceux qui osent mettre en cause l’individu tout puissant, sa pompe et ses œuvres. De sorte que ce sont aujourd’hui les démocraties dites « illibérales » qui portent le combat pour la démocratie en Europe, le combat pour la loi de la majorité contre la dictature des minorités.

Dans l’Union européenne comme ailleurs dans le monde, ce ne sont pas les démocraties illibérales qui sont le danger, c’est l’autoproclamation des juges et des cours constitutionnelles en censeurs du vote et des élus.

Qui croit que les lois votées en France ou les directives européennes ont quoi que ce soit à voir avec la volonté des Européens ? Quelle majorité pour l’invasion migratoire, pour la ruine des territoires par les traités de libre-échange, pour la destruction des sols et de la vie par les usuriers du vivant, pour le commerce du corps humain ?

Le coup d’État du droit qui permet aux juges constitutionnels d’invalider n’importe quelle loi votée par les Assemblées, au nom d’une interprétation libre de préambules lyriques et verbeux qui ne disent rien et qui peuvent tout justifier (rappelons qu’en vertu des préjugés de l’époque, les Déclarations des Droits américaines de 1776 ou françaises de 1789 ne s’appliquaient ni aux femmes, ni aux esclaves, ni aux peuples colonisés, invisibles aux constituants ; qui saura dire quels préjugés de notre époque donnent lieu aux mêmes aveuglements dans nos interprétations actuelles ?).

Voilà la nouvelle hétéronomie qui assujettit les Nations, muselle les peuples et explique la montée délétère de l’abstention — il ne sert à rien de voter, puisqu’un juge pourra invalider votre vote, et l’argent d’un corrupteur étranger pourra changer la loi !

La démocratie illibérale, l’avenir ?

Les démocraties illibérales le seraient-elles seulement parce qu’elles répondent à la volonté de la Nation, pas à celle d’une poignée de milliardaires et de leurs complices assurés du monopole du Bien ? Seraient-elles alors tout ce qui reste en Europe de démocratie, de Nation et de liberté politique ? La question appelle une réponse nuancée ; les démocraties illibérales sont bel et bien des démocraties si elles respectent le principe du suffrage universel, si elles acceptent l’alternance et si elles refusent le recours à la force, celle de l’armée ou de milices. 

Il y a urgence à restaurer la démocratie en Europe. Face à la tentative de conquête islamiste de territoires en Europe, face à l’intensification des opérations de soumission européenne aux ordres de l’étranger, rendre le pouvoir au peuple est la révolution démocratique à venir. Elle passe par le dessaisissement des cours constitutionnelles du pouvoir d’interpréter la Déclaration des Droits de l’Homme, par le rétablissement du gouvernement des hommes sur la gouvernance des choses, par la restauration des liens entre le droit, l’État, et la Nation.

Elle passe par le contrôle des ONG et des Fondations qui doivent rentrer dans les frontières, dans les Nations et dans la loi. Elles passent par la nationalisation d’Internet, qui ne peut être le lieu de la destruction de l’unité nationale et de la liberté politique — la liberté de ne pas être conforme, la liberté de rester soi-même, la liberté de dire « nous ». La lutte anti corruption, anti-blanchiment, anti-ingérence, commence par la transparence sur la provenance des fonds des ONG, sur leurs liens avec des journalistes et des médias, sur l’indépendance des sources d’information. Le temps est venu de réaffirmer cette condition de la démocratie ; l’argent ne donne aucun droit à l’influence ni au pouvoir. La ploutocratie est la ruine de la liberté politique.

Ceux qui n’ont que le mot de « démocratie » à la bouche devraient y réfléchir à deux fois. Car la révolution démocratique est en marche. Elle vient de l’Est, elle vient de ceux qui savent ce que « demeurer » veut dire, elle nous conduit vers des horizons inconnus — soigneusement cachés. Mais les âmes sensibles et les esprits libres voient déjà la lumière qui se lève en Europe, et qui va rendre à la démocratie son tranchant et son fil.

Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 7 novembre 2019)

dimanche, 03 novembre 2019

Carl Schmitt : La distinction ami-ennemi comme critère du politique, Tristan Storme

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Carl Schmitt : La distinction ami-ennemi comme critère du politique, Tristan Storme

 
Sulfureux à plus d’un titre, le juriste allemand Carl Schmitt a défini la notion de politique en accordant une place centrale à l’ennemi, qui serait d’après lui « notre propre question en tant que figure ». La communauté politique ne se déterminerait comme telle qu’en désignant l’hostis par l’intermédiaire d’une décision étatique, c’est-à-dire en décidant d’entrer en guerre. Seul l’État serait, par ailleurs, apte à garantir la paix interne et la pluralité des États souverains assurerait l’équilibre pacifié du continent européen. La genèse du politique et les conditions de son maintien s’expliqueraient à travers une série de notions fondamentales (l’ami, l’ennemi, la pluralité des États), impliquant toujours l’appareil étatique comme titulaire de la souveraineté, et donc le rejet d’un concept constitutif d’humanité. Tristan Storme est maître de conférences en sciences politiques à l’université de Nantes et membre du laboratoire de recherche Droit & Changement Social. Ses recherches et son enseignement concernent notamment la pensée de Carl Schmitt, juriste et philosophe allemand sur lequel il a publié : Carl Schmitt et le marcionnisme (Cerf, 2008) ; Carl Schmitt, lecteur de Tocqueville. La démocratie en question (dans la Revue européenne des sciences sociales, 2011).
 
Conférence donnée lors des Rencontres de Sophie le 15 mars 2019 au Lieu Unique de Nantes. http://philosophia.fr/activites-renco...
 
Voir tout le programme des Rencontres de Sophie "Guerre et paix", Philosophia, Lieu Unique, Nantes http://philosophia.fr/wp-content/uplo...
 

dimanche, 27 octobre 2019

Sociétés de transparence, sociétés du secret

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Sociétés de transparence, sociétés du secret

par François-Bernard Huyghe

Ex: http://www.huyghe.fr

Nos sociétés de l’information exaltent volontiers la transparence. En politique elle doit favoriser la gouvernance : plus d’ententes clandestines, de manœuvres antidémocratiques obscures, d’intérêts occultes, de crimes enfouis. En économie, on voit en elle une garantie contre les défauts cachés, les erreurs et les tricheries, donc un facteur de sécurité et de progrès. Et, moralement, la transparence semble garantir la confiance entre ceux qui n’ont rien à se reprocher. Dans ces conditions, il est difficile de plaider pour le secret. Ou au moins pour sa persistance voire sa croissance. Et pourtant...

Interdire pour protéger

Première évidence : le secret est indispensable à la survie des organisations ou des individus. Par définition, il distingue, exclut, sépare les initiés de ceux qui n’ont pas le droit de connaître : il fait obstacle à leur bénéfice. Des dispositifs servant à réserver certaines informations à certains détenteurs ont toujours existé ; ce peuvent être des sanctions légales ou sociales contre ceux qui divulguent, l’appel au sens de l’honneur, aux serments ou à la déontologie, l’omerta et l’ésotérisme, mais aussi des murs, des serrures, des vigiles, et bien entendu, des codes, des dispositifs informatiques...

Parce qu’il nous protège et doit se protéger, l’État assure la confidentialité de certains documents sur ce qu’il a fait, ce qu’il peut, ce qu’il sait et ce qu’il prépare - notamment dans les domaines régaliens de la diplomatie, du renseignement, de l’armée ou de la police -. Sinon il serait la proie de ses rivaux et de ses ennemis. Sans parler des terroristes ou des criminels s’ils étaient avertis de tout. De même, une entreprise qui laisserait filer l’état de sa recherche, ses listes de clients, ses projets, ses dossiers avant négociation, etc. serait suicidaire. Le secret produit délibérément de la rareté synonyme de valeur, d’où la nécessité d’en conserver l’exclusivité. Ce principe sous-tend le système de l’argent : pour remplir ses fonctions (thésauriser, mesurer la valeur, échanger) il faut qu’il soit rare et inimitable. Ceci valait du billet de banque dont le papier et le dessin défiaient les faussaires. Ceci vaut pour le chèque ou le virement. Mais ceci vaudra aussi pour le bitcoin : en demandant à un grand nombre de machines d’effectuer des opérations complexes (résoudre des énigmes cryptographiques) afin de « miner » du bitcoin, il permet d’enregistrer collectivement les transactions. L’échange monétaire (qui exige la preuve que A ne possède plus telle somme et que B l’a vu créditée une seule fois) présuppose la synthèse entre la publicité (source de confiance) et le secret (garantie de rareté).

Citoyens, le cas échéant avides de savoir les vilenies des dirigeants ou les scandales des vedettes, nous éprouvons la valeur de l’intimité. Peu de gens poussent l’amour de la transparence jusqu’à s’enchanter de voir diffuser leurs photos privées, leur code bancaire ou leur dossier médical, enregistrer leurs communications et déplacements, ficher leurs opinions, etc.

Aussi le citoyen est tenté de se tourner vers le législateur pour qu’il organise des obligations de publier et des interdictions de savoir. Une des tâches de l’État est de tracer la ligne entre public et privé, entre ce qu’il est bon que l’on puisse vérifier - de la composition d’un aliment sous plastique au patrimoine d’un élu - et ce qu’il est scandaleux de surveiller et de publier. La loi, en établissant le droit au secret, crée un équilibre entre différentes formes de sécurité et de dignité. Il y a compromis entre ce que l’État doit savoir du citoyen et le citoyen de l’État, ce que les médias ont le droit de dire et les entreprises de dissimuler, et ainsi de suite. Le système français est perfectible, mais peu d’entre nous souhaiteraient voir disparaître le RGPD ou la CNIL. Prétendre que nous visons sous l’œil du panoptique ou dans le monde de Big Brother est pour le moins exagéré tant qu’une autorité légitime et contrôlée par le peuple répartit droit de savoir mais aussi des obligations de discrétion en fonction des responsabilités et de ses vulnérabilités.
Pour autant, la question du secret et de la transparence ne peut se réduire à une affaire de bonne volonté politique ou de compromis acceptable.
 

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Fantasmes du secret

Un des premiers paradoxes est celui du rapport contemporain que nous appellerons « culturel » entre imaginaire et secret, ou, si l’on préfère, falsification et transparence. La prolifération des théories complotistes (qui se vantent de percer un secret entretenu par les autorités), l’information dite alternative, la désinformation ou les fake news, reposent sur la conviction partagée par des millions de gens qu’on nous cache tout et qu’on ne nous dit rien. Et sur la faculté qu’ont certains de proposer une autre version de la réalité ou sur des révélations que l’on tenterait d’étouffer.
Bien sûr, il y a toujours eu des rumeurs et des affabulations comme il y a eu des faux historiques. Mais jamais un tel contraste entre, d’une part, l’information disponible, les archives en ligne, le nombre de médias et d’organisations sensés se consacrer à l’information authentique, celui des experts supposés vérifier et analyser, etc., et, d’autre part, le scepticisme de masses. Le secret est souvent supposé ou affabulé : les autorités savent bien qui a tué Kennedy, la Nasa a tourné le débarquement sur la lune en studio, les Juifs ou les Reptiliens décident tout dans l’ombre, on nous dissimule les victimes de telle catastrophe ou tel produit, tel lobby interdit la publication de tel dossier. Armes secrètes, morts cachés, plans dissimulés, reportages censurés, témoignages étouffés, lois du silence, complicités au sein de l’État ou de la société, contradictions présumées entre la « version officielle » et la réflexion des savants indépendants ou des critiques..., tout cela revient régulièrement nourrir une suspicion de masse.

La difficulté est que ce discours peut s’appuyer sur quelques exemples incroyables (par l’importance des faits dissimulés et pourtant connus de milliers de gens). Oui le Goulag existait. Non il n’y a pas eu de charniers à Timisoara ni de génocide au Kosovo. Non Saddam Hussein n’avait plus d’armes de destruction massive. Oui la NSA a bien surveillé des millions de gens (dont Merkel et Hollande). Mais des autorités aient soutenu le contraire et que des centaines de médias aient repris l’antienne. Pour autant, il n’est pas légitime de déduire que tout est trucage et simulacre. On sait la facilité avec laquelle on peut, en particulier sur les réseaux sociaux, fabriquer une théorie ou une « preuve » révélatrice. Elle va vite se propager et se voir reprise et embellie par des communautés en ligne, hors contrôle de ces « garde-barrières » que sont les rédactions des médias.
Du coup, les lois contre les fake news, les interventions des grands du Net, le développement du fact-checking..., et autres se mettent en place et, à leur tour, nourrissent paradoxalement le soupçon. Derrière ce processus, la question de l’accréditation, à savoir de qui décide ce que l’on tient pour vrai.

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Numérique : codes et contrôles

Qui dit affaire de mentalités ou d’idéologies, dit aussi affaire de technologie. Dans les années 90, les pionniers d’Internet saluaient l’avénement d’un monde numérisé où chacun pourrait s’exprimer « sans craindre d’être réduit au silence ou à une norme. » (Déclaration d’indépendance du cyberespace, 1996). Or ce cyberespace est devenu par excellence le lieu de la lutte par et pour le secret. Nos technologies sont bourrées d’énigmes délibérément créées. Prenez votre smartphone : il va vous falloir prouver que vous êtes vous (son propriétaire légitime) soit en exécutant un code secret, soit en mettant votre empreinte digitale unique sur une touche. Puis vous utiliserez des applications qui vantent leur cryptologie robuste. Puis vous passerez votre temps à vous prouver que vous possédez divers secrets (identifiants et mots de passe), pour réaliser des opérations à distance. En cinq minutes vous effectuerez plus de démarches reposant sur des connaissances rares et des moyens de codage que les agents secrets dans les films d’espionnage des années 60.

Et même si vous ne faites rien de mal et pensez n’avoir rien à cacher, il y a au moins trois raisons essentielles pour que vous vous préoccupiez de conserver secret ou anonymat.
La première est évidente : la crainte de la cybercriminalité. Quelqu’un qui s’emparerait de votre code, vous le ferait livrer pas astuce ou contournerait les défenses logicielles de vos appareils, ne se contenterait pas de savoir ce que vouliez garder pour vous. Il pourrait faire des choses à votre place : émettre un faux message, passer une commande, commander une opération, vider un compte, etc. Il pourra donc se substituer à vous si vous défendez mal votre secret.
La seconde raison est que - tout honnête citoyen que vous soyez, aux opinions modérées et confiant dans son gouvernement - vous n’avez peut-être pas envie d’être surveillé par un service d’État. Vous avez sans doute été choqué d’apprendre par les révélations d’Edward Snowden que la NSA compilait des milliards de données sur les identifiants, la géolocalisaiton, le contenu des communications, etc.
Et attendez la conjonction des objets connectés et de l’intelligence artificielle. Pour ne donner qu’un exemple la Chine a doté certains travailleurs sur des chaînes de production ou les trains à grande vitesse de casquette connectées qui détectent leurs états émotionnels, sans doute par les ondes cérébrales. Ce qui leur est peut-être ignoré par eux-mêmes, leurs affects inconscients, leur fatigue est donc connu de l’État ou de la direction.
Troisième raison de conserver ses données ou le secret de ses communications : elles permettent d’anticiper vos comportements futurs. Des algorithmes brassant des quantités de données à votre sujet (dont beaucoup que vous avez communiqué vous-mêmes) anticipent vos goûts (y compris sexuels ou pour l’alcool) et peuvent vous faire, comme dans l’affaire de Cambridge Analytica, des propositions politiques (ne parlons pas des commerciales) qui vous sembleront miraculeusement coïncider avec le message que vous auriez aimé entendre. Nos secrets font leurs pouvoirs.

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Secret et conflit

La dimension culturelle ou technologique ne peuvent se comprendre que par rapport à la nature stratégique du secret. Le garder, percer celui de l’adversaire ou du concurrent, sont, par excellence liées à l’affrontement. C’est pourquoi l’État de dote de services de renseignement et c’est une des bases de l’Intelligence Économique. C’est surtout une des composantes principales des futurs affrontements. Ceci vaut particulièrement dans le domaine militaire et géopolitique où, par exemple, la cyberstratégie tient un rôle déterminant.

Soit l’exemple d’une cyberattaque, menée par un service d’État, un acteur économique ou un groupe idéologique. Elle commence le plus souvent pas garantir son propre anonymat afin de se rendre impossible à attribuer, à distance et sans traces physiques. Puis, elle franchit la défense d’un système informatique : elle pénètre ainsi dans des zones protégées des mémoires pour y prélever des données précieuses et/ou pour y déposer ses propres dispositifs qui continueront à pomper de l’information ou à donner des instructions. Variante : l’attaque peut viser à saboter à l’insu du propriétaire légitime, à détraquer un système de gestion ou de commandement. Un exemple récent : les ransomwares, ces logiciels qui pénètrent dans vos machines et codent vos fichiers (littéralement ce à quoi vous aviez un accès quotidien devient secret pour vous). À vous de payer une rançon (comme par hasard en bitcoins) pour décoder et reprendre la main sur votre document.

Cette forme d’espionnage et de sabotage peut être relayée par une déstabilisation économique ou politique. Dans de récentes élections - Brexit, présidentielle U.S., référendum catalan - on a accusé des manipulations occultes étrangères d’avoir perturbé le processus électoral par de pseudo
Yes comptes, de fausses nouvelles, des intrusions, la diffusion d’informations secrètes (par exemple le « hack and leak » du parti démocrate, technique qui consiste à s’emparer de mails confidentiels pour les mettre sur la place publique et, ici, compromettre la candidate). Même si de tels effets de déstabilisation sont largement fantasmés, ils sont révélateurs de la crise de nos systèmes. Car les institutions étatiques ou économiques savent qu’une organisation comme Wikileaks, voire un simple témoin muni d’un smartphone, peut mettre sur la place publipolue ce qu’ils souhaitaient dissimuler d’un compte en banque à une bavure. Tout est archivé numériquement quelque part, donc tout peut être révélé.

Pour un État, une entreprise, un citoyen, le secret intervient dans tous les affrontements mais aussi dans toutes les formes de sociabilité et d’échange. Ce n’est pas une raison pour devenir paranoïaques. C’est une incitation à mesurer le défi en termes d’intelligence des enjeux, de maîtrise de la technologie et de souveraineté numérique.


Lectures conseillées :
E. Et F.B. Huyghe « Histoire des secrets » (Hazan 2000), Médium n° 37/38 « Le secret à l’ère numérique (Oct. 2013-Mars 2014), Collectif « Le secret au cœur de nos sociétés » (Septentrion 2017)

jeudi, 24 octobre 2019

A quand la décadence finale ? De Salluste et Juvénal à nos jours

 

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A quand la décadence finale ? De Salluste et Juvénal à nos jours

par Tomislav Sunic
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Tomislav Sunic, cueilli sur le site Nous sommes partout et consacré à la notion de décadence. Ancien professeur de sciences politiques aux États-Unis et ancien diplomate croate, Tomislav Sunic a publié trois essais en France, Homo americanus (Akribéia, 2010) et La Croatie: un pays par défaut ? (Avatar Editions, 2010) ainsi qu'un recueil de textes et d'entretiens, Chroniques des Temps postmodernes (Avatar, 2014).

A quand la décadence finale ? De Salluste et Juvénal à nos jours

Les Anciens, c’est à dire nos ancêtres greco-germano-gallo-slavo-illyro-romains, étaient bien conscients des causes héréditaires de la décadence quoiqu’ils attribuassent à cette notion des noms fort variés. La notion de décadence, ainsi que sa réalité existent depuis toujours alors que sa dénomination actuelle ne s’implante solidement dans la langue française qu’au XVIIIème siècle, dans les écrits de Montesquieu.1 Plus tard, vers la fin du XIXème siècle, les poètes dits « décadents », en France, étaient même bien vus et bien lus dans les milieux littéraires traditionalistes, ceux que l’on désigne aujourd’hui, de façon commode, comme les milieux « d’extrême droite ». Par la suite, ces poètes et écrivains décadents du XIXème siècle nous ont beaucoup marqués, malgré leurs mœurs souvent débridées, métissées, alcoolisées et narcotisées, c’est-à-dire malgré leur train de vie décadent.2

En Allemagne, vers la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, bien que moins régulièrement qu’en France, le terme « Dekadenz » était également en usage dans la prose des écrivains réactionnaires et conservateurs qu’effrayaient le climat de déchéance morale et la corruption capitaliste dans la vie culturelle et politique de leur pays. Il faut souligner néanmoins que le mot allemand « Dekadenz », qui est de provenance française, a une signification différente dans la langue allemande, langue qui préfère utiliser son propre trésor lexical et dont, par conséquent, les signifiants correspondent souvent à un autre signification. Le bon équivalent conceptuel, en allemand, du mot français décadence serait le très unique terme allemand « Entartung », terme qui se traduit en français et en anglais par le lourd terme d’essence biologique de « dégénérescence » et « degeneracy », termes qui ne correspondent pas tout à fait à la notion originale d’ « Entartung » en langue allemande. Le terme allemand « Entartung », dont l’étymologie et le sens furent à l’origine neutres, désigne le procès de dé-naturalisation, ce qui n’a pas forcément partie liée à la dégénérescence biologique. Ce mot allemand, vu son usage fréquent sous le Troisième Reich devait subir, suite à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et suite à la propagande alliée anti-allemande, un glissement sémantique très négatif de sorte qu’on ne l’utilise plus dans le monde de la culture et de la politique de l’Allemagne contemporaine. 3


En Europe orientale et communiste, durant la Guerre froide, le terme de décadence n’a presque jamais été utilisé d’une façon positive. À sa place, les commissaires communistes fustigeaient les mœurs capitalistes des Occidentaux en utilisant le terme révolutionnaire et passe-partout, notamment le terme devenu péjoratif (dans le lexique communiste) de « bourgeois ». En résumé, on peut conclure que les usagers les plus réguliers du terme « décadence » ainsi que ses plus farouches critiques sont les écrivains classés à droite ou à l’extrême droite.


On doit ici soulever trois questions essentielles. Quand la décadence se manifeste-t-elle, quelles sont ses origines et comment se termine-t-elle ? Une foule d’écrivains prémodernes et postmodernes, de J.B. Bossuet à Emile Cioran, chacun à sa façon et chacun en recourant à son propre langage, nous ont fourni des récits apocalyptiques sur la décadence qui nous conduit à son tour vers la fin du monde européen. Or force est de constater que l’Europe se porte toujours bel et bien malgré plusieurs décadences déjà subies à partir de la décadence de l’ancienne Rome jusqu’à celle de nos jours. À moins que nous ne soyons, cette fois-ci, voués – compte tenu du remplacement des peuples européens par des masses de peuplades non-européennes – non plus à la fin d’UNE décadence mais à LA décadence finale de notre monde européen tout court.


gobineau.jpgAvant que l’on commence à se lamenter sur les décadences décrites par nos ancêtres romains et jusque par nos auteurs contemporains, et quelle que soit l’appellation qui leur fut attribuée par les critiques modernes, « nationalistes », «  identitaires », «  traditionalistes de la droite alternative, » «  de la droite extrême » et j’en passe, il est essentiel de mentionner deux écrivains modernes qui signalèrent l’arrivée de la décadence bien que leur approche respective de son contenu et de ses  causes  fut très divergente. Ce sont l’Allemand Oswald Spengler avec son Déclin de l’Occident, écrit au début du XXème siècle, et le Français Arthur de Gobineau avec son gros ouvrage Essai sur l’inégalité des races humaines, écrit soixante ans plut tôt. Tous deux étaient des écrivains d’une grande culture, tous deux partageaient la même vision apocalyptique de l’Europe à venir, tous deux peuvent être appelés des pessimistes culturels avec un sens du tragique fort raffiné. Or pour le premier de ces auteurs, Spengler, la décadence est le résultat du vieillissement biologique naturel de chaque peuple sur terre, vieillissement qui l’amène à un moment historique à sa mort inévitable. Pour le second, Gobineau, la décadence est due à l’affaiblissement de la conscience raciale qui fait qu’un peuple adopte le faux altruisme tout en ouvrant les portes de la cité aux anciens ennemis, c’est-à-dire aux Autres d’une d’autre race, ce qui le conduit peu à peu à s’adonner au métissage et finalement à accepter sa propre mort. À l’instar de Gobineau, des observations à peu près similaires seront faites par des savants allemands entre les deux guerres. On doit pourtant faire ici une nette distinction entre les causes et les effets de la décadence. Le tedium vitae (fatigue de vivre), la corruption des mœurs, la débauche, l’avarice, ne sont que les effets de la disparition de la conscience raciale et non sa cause. Le mélange des races et le métissage, termes  mal vus aujourd’hui par le Système et ses serviteurs, étaient désignés par Gobineau par le terme de « dégénérescence ». Selon lui, celle-ci fonctionne dorénavant, comme une machine à broyer le patrimoine génétique des peuples européens. Voici une courte citation de son livre : « Je pense donc que le mot dégénéré, s’appliquant à un peuple, doit signifier et signifie que ce peuple n’a plus la valeur intrinsèque qu’autrefois il possédait, parce qu’il n’a plus dans ses veines le même sang, dont des alliages successifs ont graduellement modifié la valeur ; autrement dit, qu’avec le même nom, il n’a pas conservé la même race que ses fondateurs ; enfin, que l’homme de la décadence, celui qu’on appelle l’homme dégénéré, est un produit différent, au point de vue ethnique, du héros des grandes époques. » 4


Et plus tard, Gobineau nous résume peut-être en une seule phrase l’intégralité de son œuvre : « Pour tout dire et sans rien outrer, presque tout ce que la Rome impériale connut de bien sortit d’une source germanique ».5


Ce qui saute aux yeux, c’est que soixante ans plus tard, c’est-à-dire au début du XXème siècle, l’Allemand Oswald Spengler, connu comme grand théoricien de la décadence, ne cite nulle part dans son œuvre le nom d’Arthur de Gobineau, malgré de nombreuses citations sur la décadence empruntées à d’autres auteurs français.


Nous allons poursuivre nos propos théoriques sur les causes du déclin de la conscience raciale et qui à son tour donne lieu au métissage en tant que  nouveau mode de vie. Avant cela, il nous faut nous pencher sur la notion de décadence chez les écrivains romains Salluste et Juvénal et voir quel fut d’après eux le contexte social menant à la décadence dans l’ancienne Rome.


Juvenal_Nuremberg_Chronicle.jpgL’écrivain Salluste est important à plusieurs titres. Primo, il fut le contemporain de la conjuration de Catilina, un noble romain ambitieux qui avec nombre de ses consorts de la noblesse décadente de Rome faillit renverser la république romaine et imposer la dictature. Salluste fut partisan de Jules César qui était devenu le dictateur auto-proclamé de Rome suite aux interminables guerres civiles qui avaient appauvri le fonds génétique de nombreux patriciens romains à Rome.


Par ailleurs Salluste nous laisse des pages précieuses sur une notion du politique fort importante qu’il appelle « metus hostilis » ou « crainte de l’ennemi », notion qui constituait chez les Romains, au cours des guerres contre les Gaulois et Carthaginois au siècle précèdent, la base principale de leur race, de leur vertu, de leur virilité, avec une solide conscience de leur lignage ancestral. Or après s’être débarrassé militairement de « metus Punici » (NDLR: crainte du Cathaginois) et de « metus Gallici» (NDLR: crainte du Gaulois), à savoir après avoir écarté tout danger d’invasion extérieure, les Romains, au milieu du IIème siècle avant notre ère, ont vite oublié le pouvoir unificateur et communautaire inspiré par « metus hostilis » ou la « crainte de l’Autre » ce qui s’est vite traduit par la perte de leur mémoire collective et par un goût prononcé pour le métissage avec l’Autre des races non-européennes.
Voici une courte citation de Salluste dans son ouvrage, Catilina, Chapitre 10.


« Ces mêmes hommes qui avaient aisément supporté les fatigues, les dangers, les incertitudes, les difficultés, sentirent le poids et la fatigue du repos et de la richesse… L’avidité ruina la bonne foi, la probité, toutes les vertus qu’on désapprit pour les remplacer par l’orgueil, la cruauté, l’impiété, la vénalité. »6.

Crainte de l’autre

La crainte de l’ennemi, la crainte de l’Autre, notion utilisée par Salluste, fut aux XIXème et XXème siècles beaucoup discutée par les historiens, politologues et sociologues européens. Cette notion, lancée par Salluste, peut nous aider aujourd’hui à saisir le mental des migrants non-européens qui s’amassent en Europe ainsi que le mental de nos politiciens qui les y invitent. Certes, la crainte de l’Autre peut être le facteur fortifiant de l’identité raciale chez les Européens de souche. Nous en sommes témoins aujourd’hui en observant la renaissance de différents groupes blancs et identitaires en Europe. En revanche, à un moment donné, le metus hostilis, à savoir la crainte des Autres, risque de se transformer en son contraire, à savoir l’amor hostilis, ou l’amour de l’ennemi qui détruit l’identité raciale et culturelle d’un peuple. Ainsi les Occidentaux de souche aujourd’hui risquent-ils de devenir peu à peu victimes du nouveau paysage multiracial où ils sont nés et où ils vivent. Pire, peu à peu ils commencent à s’habituer à la nouvelle composition raciale et finissent même par l’intérioriser comme un fait naturel. Ces mêmes Européens, seulement quelques décennies auparavant, auraient considéré l’idée d’un pareil changement racial et leur altruisme débridé comme surréel et morbide, digne d’être combattu par tous les moyens.


salllivre.jpgNul doute que la crainte de l’Autre, qu’elle soit réelle ou factice, resserre les rangs d’un peuple, tout en fortifiant son homogénéité raciale et son identité culturelle. En revanche, il y a un effet négatif de la crainte des autres que l’on pouvait observer dans la Rome impériale et qu’on lit dans les écrits de Juvénal. Le sommet de l’amour des autres, ( l’ amor hostilis) ne se verra que vers la fin du XXème siècle en Europe multiculturelle. Suite à l’opulence matérielle et à la dictature du bien-être, accompagnées par la croyance à la fin de l’histoire véhiculée par les dogmes égalitaristes, on commence en Europe, peu à peu, à s’adapter aux mœurs et aux habitudes des Autres. Autrefois c’étaient Phéniciens, Juifs, Berbères, Numides, Parthes et Maghrébins et autres, combattus à l’époque romaine comme des ennemis héréditaires. Aujourd’hui, face aux nouveaux migrants non-européens, l’ancienne peur de l’Autre se manifeste chez les Blancs européens dans le mimétisme de l’altérité négative qui aboutit en règle générale à l’apprentissage du «  déni de soi ». Ce déni de soi, on l’observe aujourd’hui dans la classe politique européenne et américaine à la recherche d’un ersatz pour son identité raciale blanche qui est aujourd’hui mal vue. A titre d’exemple cette nouvelle identité négative qu’on observe chez les gouvernants occidentaux modernes se manifeste par un dédoublement imitatif des mœurs des immigrés afro-asiatiques. On est également témoin de l’apprentissage de l’identité négative chez beaucoup de jeunes Blancs en train de mimer différents cultes non-européens. De plus, le renversement de la notion de « metus hostilis » en « amor hostilis » par les gouvernants européens actuels aboutit fatalement à la culture de la pénitence politique. Cette manie nationale-masochiste est surtout visible chez les actuels dirigeants allemands qui se lancent dans de grandes embrassades névrotiques avec des ressortissants afro-asiatiques et musulmans contre lesquels ils avaient mené des guerres meurtrières du VIIIe siècle dans l’Ouest européen et jusqu’au XVIIIe siècle dans l’Est européen.


L’engouement pour l’Autre extra-européen – dont l’image est embellie par les médias et cinémas contemporains – était déjà répandu chez les patriciens romains décadents au Ier siècle et fut décrit par le satiriste Juvénal. Dans sa IIIème satire, intitulée Les Embarras de Rome (Urbis incommoda), Juvénal décrit la Rome multiculturelle et multiraciale où pour un esprit raffiné comme le sien il était impossible de vivre…


« Dans ces flots d’étrangers et pourtant comme rien
Depuis longtemps déjà l’Oronte syrien
Coule au Tibre, et transmet à Rome ses coutumes,
Sa langue, ses chanteurs aux bizarres costumes… » 7
Juvénal se plaint également des migrants juifs dans ses satires, ce qui lui a valu d’être taxé d’antisémitisme par quelques auteurs contemporains…

« Maintenant la forêt et le temple et la source
Sont loués à des Juifs, qui, pour toute ressource,
Ont leur manne d’osier et leur foin de rebut.
Là, chaque arbre est contraint de payer son tribut;
On a chassé la muse, ô Rome abâtardie
Et l’auguste forêt tout entière mendie.« 8


sallcat.jpgLes lignes de Juvénal sont écrites en hexamètres dactyliques ce qui veut dire en gros un usage d’échanges rythmiques entre syllabes brèves ou longues qui fournissent à chacune de ses satires une tonalité dramatique et théâtrale qui était très à la mode chez les Anciens y compris chez Homère dans ses épopées. À l’hexamètre latin, le traducteur français a substitué les mètres syllabiques rimés qui ont fort bien capturé le sarcasme désabusé de l’original de Juvénal. On est tenté de qualifier Juvénal de Louis Ferdinand Céline de l‘Antiquité. Dans sa fameuse VIème satire, qui s’intitule Les Femmes, Juvénal décrit la prolifération de charlatans venus à Rome d’Asie et d’Orient et qui introduisent dans les mœurs romaines la mode de la zoophilie et de la pédophilie et d’autres vices. Le langage de Juvénal décrivant les perversions sexuelles importées à Rome par des nouveaux venues asiatiques et africains ferait même honte aux producteurs d’Hollywood aujourd’hui. Voici quelques-uns de ses vers traduits en français, de manière soignés car destinés aujourd’hui au grand public :


« Car, intrépide enfin, si ton épouse tendre
Voulait sentir son flanc s’élargir et se tendre
Sous le fruit tressaillant d’un adultère amour,
Peut-être un Africain serait ton fils un jour. »  9

Les Romains utilisaient le mot « Aethiopis », Ethiopiens pour désigner les Noirs d’Afrique.

Qui interprète l’interprète ?

L’interprétation de chaque ouvrage par n’importe quel auteur, sur n’importe quel sujet social et à n’importe quelle époque, y compris les vers de l’écrivain latin Juvénal, se fera en fonction des idées politiques dominantes à savoir du Zeitgeist régnant. Or qui va contrôler l’interprète aujourd’hui si on est obligé de suivre les oukases pédagogiques de ses chefs mis en place après la fin de la Deuxième Guerre mondiale ? À cet effet on peut citer Juvénal et les fameux vers de sa VIème satire : «  Quis custodet ipsos custodes » à savoir qui va garder les gardiens, c’est à dire qui va contrôler nos architectes de la pensée unique qui sévissent dans les universités et dans les médias ?


A peu près le même principe de censure et d’autocensure règne aujourd’hui au sujet de l’étude et la recherche sur les différentes races. Aujourd’hui, vu le dogme libéralo-communiste du progrès et la conviction que les races ne sont qu’une construction sociale et non un fait biologique et en raison du climat d’auto-censure qui sévit dans la haute éducation et dans les médias, il n’est pas surprenant que des savants qui analysent les différences entre races humaines soient souvent accusés d’utiliser des prétendus « stéréotypes ethniques ». Or le vocable « stéréotype » est devenu aujourd’hui un mot d’ordre chez les bien-pensants et chez les hygiénistes de la parole en Europe. La même procédure d’hygiénisme lexical a lieu lorsqu’un biologiste tente d’expliquer le rôle des différents génomes au sein des différentes races. Un savant généticien, s’il s’aventure à démystifier les idées égalitaires sur la race et l’hérédité risque d’être démonisé comme raciste, fasciste, xénophobe ou suprémaciste blanc. La nouvelle langue de bois utilisée par les médias contre les mal-pensants se propage dans toutes les chancelleries et toutes les universités européennes.


Certes, les idées, en l’occurrence de mauvaises idées, mènent le monde, et non l’inverse. Dans la même veine, les idées dominantes qui sont à la base du Système d’aujourd’hui décident de l’interprétation des découvertes dans les sciences biologiques et non l’inverse. Nous avons récemment vu la chasse aux sorcières dont fut victime le Prix Nobel James Watson, codécouvreur de la structure de l’ADN et du décryptage du génome humain. Il a été attaqué par les grand médias pour des propos prétendument racistes émis il y a une dizaine d’année à propos des Africains. Je le cite : « Même si j’aimerais croire que tous les êtres humains sont dotés d’une intelligence égale, ceux qui ont affaire à des employés noirs ne pensent pas la même chose» 10. Ce que Watson a dit est partagé par des milliers de biologistes et généticiens mais pour des raisons que nous avons déjà mentionnées, ils se taisent.

 

sallvienne.jpg

Nos Anciens possédaient un sens très aigu de leur héritage et de leur race qu’ils appelaient genus. Il existe une montagne d’ouvrages qui traitent de la forte conscience de la parenté commune et du lignage commun chez les Anciens. Nous n’allons pas citer tous les innombrables auteurs, notamment les savants allemands de la première moitié du XXème siècle qui ont écrit un tas de livres sur la dégénérescence raciale des Romains et d’autres peuples européens et dont les ouvrages sont non seulement mal vus mais également mal connus par le grand public d’aujourd’hui. Il est à noter qu’avant la Deuxième Guerre mondiale et même un peu plus tard, les savants et les historiens d’Europe et d’Amérique se penchaient sur le facteur racial beaucoup plus souvent et plus librement qu’aujourd’hui.


Il va de soi que les anciens Romains ignoraient les lois mendéliennes de l’hérédité ainsi que les complexités du fonctionnement de l’ADN, mais ils savaient fort bien comment distinguer un barbare venu d’Europe du nord d’un barbare venu d’Afrique. Certains esclaves étaient fort prisés, tels les Germains qui servaient même de garde de corps auprès des empereurs romains. En revanche, certains esclaves venues d’Asie mineure et d’Afrique, étaient mal vus et faisaient l’objet de blagues et de dérisions populaires.


Voici une brève citation de l’historien américain Tenney Frank, tirée de son livre Race Mixture in the Roman Empire ( Mélange des races dans l’Empire de Rome), qui illustre bien ce que les Romains pensaient d’eux-mêmes et des autres. Au début du XXème siècle Frank était souvent cité par les latinistes et il était considéré comme une autorité au sujet de la composition ethnique de l’ancienne Rome. Dans son essai, il opère une classification par races des habitants de l’ancienne Rome suite à ses recherches sur les inscriptions sépulcrales effectuées pendant son séjour à Rome. Voici une petite traduction en français de l’un de ces passages : « .…de loin le plus grand nombre d’esclaves venait de l’Orient, notamment de la Syrie et des provinces de l’Asie Mineure, avec certains venant d’Égypte et d’Afrique (qui, en raison de la classification raciale peuvent être considérés comme venant de l’Orient). Certains venaient d’Espagne et de Gaule, mais une proportion considérable d’entre eux étaient originaires de l’Est. Très peu d’esclaves furent recensés dans les provinces alpines et danubiennes, tandis que les Allemands apparaissent rarement, sauf parmi les gardes du corps impériaux. (L’auteur) Bang remarque que les Européens étaient de plus grand service à l’empire en tant que soldats et moins en tant que domestiques. »11


Et plus tard il ajoute :


« Mais ce qui resta à l’arrière-plan et régit constamment sur toutes ces causes de la désintégration de Rome fut après tout le fait que les gens qui avaient construit Rome ont cédé leur place à un race différente. » 12


Les anciens Romains avaient une idée claire des différents tribus et peuples venus d’Orient à Rome. Comme l’écrit un autre auteur, « Les esclaves d’Asie mineure et les affranchis cariens, mysiens, phrygiens et cappadociens, à savoir les Orientaux, étaient, par rapport aux esclaves d’autres provinces, particulièrement méprisés dans la conscience romaine. Ces derniers sont même devenus proverbiaux à cause de leur méchanceté. »13


En conclusion, on peut dire qu’une bonne conscience raciale ne signifie pas seulement une bonne connaissance des théories raciales ou pire encore la diffusion des insultes contre les non-Européens. Avoir la conscience raciale signifie tout d’abord avoir une bonne mémoire de la lignée commune et une bonne mémoire du destin commun. Cela a été le cas avec les tribus européennes et les peuples européens depuis la nuit des temps. Une fois l’héritage du peuple, y compris son hérédité, oublié ou compromis, la société commence à se désagréger comme on l’a vu à Rome et comme on le voit chaque jour en Europe aujourd’hui. « Les premiers Romains tenaient à leur lignée avec beaucoup de respect et appliquaient un système de connubium selon lequel ils ne pouvaient se marier qu’au sein de certains stocks approuvés » 14. Inutile de répéter comment on devrait appliquer le devoir de connubium en Europe parmi les jeunes Européens aujourd’hui. Voilà un exemple qui dépasse le cadre de notre discussion. Suite à la propagande hollywoodienne de longue haleine il est devenu à la mode chez de jeunes Blanches et Blancs de se lier avec un Noir ou un métis. Il s’agit rarement d’une question d’amour réciproque mais plutôt d’une mode provenant du renversement des valeurs traditionnelles.


Il est inutile de critiquer les effets du métissage sans en mentionner ses causes. De même on doit d’abord déchiffrer les causes de l’immigration non-européenne avant de critiquer ses effets. Certes, comme if fut déjà souligné la cause de la décadence réside dans l’oubli de la conscience raciale. Or celle-ci avait été soit affaiblie soit supprimée par le christianisme primitif dont les avatars séculiers se manifestent aujourd’hui dans l’idéologie de l’antifascisme et la montée de diverses sectes égalitaristes et mondialistes qui prêchent la fin de l’histoire dans une grande embrassade multiraciale et transsexuelle. Critiquer les dogmes chrétiens et leur visions œcuméniques vis-à-vis des immigrés est un sujet autrement plus explosif chez nos amis chrétiens traditionalistes et surtout chez nos amis d’Amérique, le pays où la Bible joue un rôle très important. Or faute de s’en prendre aux causes délétères de l’égalitarisme chrétien on va tourner en rond avec nos propos creux sur le mal libéral ou le mal communiste. On a beau critiquer les « antifas » ou bien le grand capital ou bien les banksters suisses et leurs manœuvres mondialistes, reste qu’aujourd’hui les plus farouches avocats de l’immigration non-européenne sont l’Église Catholique conciliaire et ses cardinaux en Allemagne et en Amérique. Roger Pearson, un sociobiologiste anglais de renom l’écrit . « Se répandant d’abord parmi les esclaves et les classes inférieures de l’empire romain, le christianisme a fini par enseigner que tous les hommes étaient égaux aux yeux d’un dieu créateur universel, une idée totalement étrangère à la pensée européenne… Puisque tous les hommes et toutes les femmes étaient les « enfants de Dieu », tous étaient égaux devant leur divin Créateur ! »15


Si l’on veut tracer et combattre les racines de la décadence et ses effets qui se manifestent dans le multiculturalisme et le métissage, il nous faut nous pencher d’une manière critique sur les enseignements du christianisme primitif. Ce que l’on observe dans l’Occident d’aujourd’hui, submergé par des populations non-européennes, est le résultat final et logique de l’idée d’égalitarisme et de globalisme prêchée par le christianisme depuis deux mille ans.

Tomislav Sunic (Nous sommes partout, 16 octobre 2019)

Notes :

1/ Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (Paris: Librairie Ch. Delagrave : 1891), Ch. IX, p. 85-86, où il cite Bossuet; “Le sénat se remplissait de barbares ; le sang romain se mêlait ; l’amour de la patrie, par lequel Rome s’était élevée au-dessus de tous les peuples du monde, n’était pas naturel à ces citoyens venus de dehors..” http://classiques.uqac.ca/classiques/montesquieu/consider...   

2/ T. Sunic, „Le bon truc; drogue et démocratie“, dans Chroniques des Temps Postmodernes ( Dublin, Paris: éd Avatar, 2014), pp 227-232. En anglais, „The Right Stuff; Drugs and Democracy“, in Postmortem Report; Cultural Examinations from Postmodernity ( London: Arktos, 2017), pp. 61-65.

3/ Voir T. Sunic, « L’art dans le IIIème Reich », Ecrits de Paris, juillet—août 2002, nr. 645, Also “Art in the Third Reich: 1933-45”, in Postmortem Report ( London: Artkos, 2017) pp. 95-110.

4/ Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, (Paris: Éditions Pierre Belfond, 1967), Livres 1 à 4, pp. 58-59.

5/ Ibid, Livres 5 à 6., p. 164. https://ia802900.us.archive.org/27/items/EssaiSurLinegali...

6/ Salluste, Ouvres de Salluste, Conjuration de Catilina – ( Paris: C.L. F. Pancoucke, 1838), pp 17-18. https://ia802706.us.archive.org/5/items/uvresdesalluste00... 

7/ Satires de Juvénal et de Perse, Satire III, traduites en vers français par M. J . Lacroix (Paris : Firmin Didot frères Libraries, 1846), p. 47. 

8/ Ibid. p.43.

9/ Ibid., p.165. Egalement sur le site: http://remacle.org/bloodwolf/satire/juvenal/satire3b.htm

10/ “ L’homme le plus riche de Russie va rendre à James Watson sa médaille Nobel”, Le Figaro, le 10 Dec. 2014. http://www.lefigaro.fr/international/2014/12/10/01003-20141210ARTFIG00268-l-homme-le-plus-riche-de-russie-va-rendre-a-james-watson-sa-medaille-nobel.php

11/ Tenney Frank, „Race Mixture in the Roman Empire“, The American Historical Review, Vol. XXI, Nr. 4, July 1916, p. 701.

12/ Ibid. 705.

13/ Heikki Solin, “Zur Herkunft der römischen Sklaven” https://www.academia.edu/10087127/Zur_Herkunft_der_r%C3%B6mischen_Sklaven  

14/ Roger Pearson, « Heredity in the History of Western Culture, » The Mankind Quarterly, XXXV. Nr. 3. printemps 1995, p. 233.

15/ Ibid p. 234.

 

mercredi, 23 octobre 2019

« Rétablir l’état de droit face à ces nouveaux despotes que sont les multinationales et les marchés financiers »

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« Rétablir l’état de droit face à ces nouveaux despotes que sont les multinationales et les marchés financiers »

par Olivier Petitjean

Ex: https://www.bastamag

Les Nations-Unies travaillent à un nouveau traité pour contraindre les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement. En France, une loi impose, depuis 2017, un « devoir de vigilance » aux grandes entreprises, à leurs filiales et sous-traitants. Cet outil juridique mettra-t-il fin à leur quasi impunité ? Explications de notre journaliste Olivier Petitjean, via ces bonnes feuilles tirées de son ouvrage Devoir de vigilance. Une victoire contre l’impunité des multinationales.

Le 27 mars 2017, la France promulguait, à l’issue d’un laborieux parcours législatif de plusieurs années, la loi sur le devoir de vigilance des multinationales – ou, plus précisément, des « sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre ». De manière très inhabituelle pour la France, cette loi n’a pas été conçue dans les ministères, mais par un petit groupe de députés indépendamment du gouvernement, en collaboration étroite – ce qui est encore plus rare – avec une coalition d’associations, de syndicats et autres acteurs de la société civile. C’est une loi d’une grande simplicité, qui tient en trois articles. Son objectif pourrait paraître modeste : corriger une lacune du droit existant en donnant la possibilité, dans certaines conditions, de saisir la justice lorsqu’une entreprise multinationale basée sur notre territoire est mise en cause pour des atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, commises en France comme à l’étranger.

Pollutions pétrolières ou chimiques, main-d’œuvre surexploitée dans les usines des fournisseurs, conflits et répression autour des sites d’implantation des multinationales, complicité avec des dictatures, accaparement des ressources naturelles, tout le monde a entendu parler de cette face obscure de la mondialisation, où l’internationalisation des chaînes de production et la chasse aux profits se développent aux dépens des femmes et des hommes et de la nature. Que les victimes puissent porter plainte pour faire respecter leurs droits fondamentaux, ou que des associations puissent exiger l’intervention d’un juge pour mettre fin aux abus, quoi de plus naturel, quoi de plus normal soixante-dix ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et après de multiples traités internationaux sur la lutte contre l’exploitation, le climat ou la protection de l’environnement ?

Un chaînon manquant dans la mondialisation

Et pourtant, en pratique, mettre en cause une grande entreprise et ses dirigeants pour les violations des droits humains ou la dégradation de l’environnement occasionnées par ses activités reste souvent mission impossible. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé, comme nous le racontons dans ce livre. D’un côté, il existe une multitude de textes de droit international ; de l’autre, une impossibilité apparente de les faire appliquer et de leur donner effet dans des situations impliquant des multinationales. Voilà manifestement un chaînon manquant dans la mondialisation.

Beaucoup de raisons entrent en jeu pour créer cette situation d’impunité. D’abord les soutiens et les complicités politiques dont bénéficient généralement les milieux d’affaires internationaux dans les pays où ils sont implantés. Ensuite la faiblesse du pouvoir judiciaire, par manque de moyens ou par manque d’indépendance. Sans compter que, bien entendu, les grandes entreprises et leurs dirigeants peuvent mettre en branle des armées d’avocats pour faire traîner en longueur les procédures, épuiser tous les recours ou exploiter les failles de l’accusation. Les personnes et les groupes les plus affectés par leurs activités, en revanche, comptent souvent parmi les plus démunis. L’histoire de David contre Goliath semble donc infiniment répétée – mais sans fronde à disposition des « petits ».

Il est aussi une raison moins visible et plus structurelle à cette impunité des multinationales, qui gît dans le droit lui-même et dans sa déconnexion d’avec la réalité économique. On peut dire qu’aujourd’hui la « multinationale », le « groupe », voire l’« entreprise », n’existent pas réellement d’un point de vue juridique. Là où nous voyons un sujet cohérent et autonome – Total, Apple ou H&M –, avec sous son égide des dizaines d’établissements, de filiales, de co- entreprises ou autres relations d’affaires gérées en fonction de l’intérêt du tout (ce qui signifie malheureusement souvent le seul intérêt des actionnaires et des dirigeants), le droit voit une nébuleuse d’entités distinctes, seulement liées entre elles par des liens capitalistiques et des contrats.

Il ne s’agit pas seulement d’un simple détail technique. Une conséquence directe de ce hiatus est qu’il est souvent extrêmement difficile de responsabiliser la multinationale elle-même (autrement dit la « société mère » qui chapeaute tout l’édifice et le dirige) pour les manquements d’une de ses filiales à l’étranger. Et à plus forte raison pour des abus constatés chez l’un de ses sous-traitants ou fournisseurs, quand bien même ces abus seraient directement liés aux exigences ou aux pressions de la multinationale en question.

Coup porté à l’impunité des multinationales

C’est précisément cette lacune, cet angle mort du droit, que la loi sur le devoir de vigilance entend combler. À certains égards, ce n’est qu’un point de détail, un simple aménagement législatif qui crée une possibilité de recours judiciaire ne visant que les abus les plus criants, selon une procédure très spécifique, et qui impliquera d’apporter la preuve que la société mère (vis-à-vis de ses filiales) ou donneuse d’ordre (vis-à-vis de ses fournisseurs et sous-traitants) a clairement manqué aux responsabilités qui étaient les siennes en proportion de son influence réelle. On voit mal cette loi donner lieu à une floraison de procès intentés contre des entreprises, comme l’ont suggéré ses détracteurs.

À d’autres égards, cependant, cela change tout. C’est d’ailleurs pourquoi cette législation d’apparence modeste, ciblant des situations que personne ne pourrait considérer comme acceptables, a suscité, et continue de susciter, une opposition aussi acharnée de la part d’une partie des milieux d’affaires français et internationaux. La loi française sur le devoir de vigilance est un coup porté à la barrière de protection juridique qui isole les multinationales des impacts de leurs activités sur les sociétés et l’environnement.

De ce fait, elle remet en cause la condition d’« irresponsabilité sociale » intrinsèque à la notion même d’entreprise multinationale, se jouant des frontières et des juridictions. Elle modifie ce qui, en apparence, n’est qu’un petit rouage juridique de la mondialisation, mais qui affecte virtuellement tout le fonctionnement de la machine – notamment au profit de qui et au détriment de qui elle opère.

Tout ceci ne vient pas de nulle part. L’adoption de la loi française en 2017 n’est ni le commencement ni la fin. La manière dont elle sera effectivement utilisée et mise en œuvre fera certainement l’objet de controverses aussi virulentes que celles qui ont entouré son élaboration et son adoption. Sa portée dépasse les frontières de l’Hexagone, comme l’illustre l’intervention dans le débat législatif français d’organisations comme la Chambre de commerce des États-Unis, principal lobby patronal américain, ou la Confédération syndicale internationale, porte-parole du monde syndical à l’échelle globale.

Des chaînes de responsabilité souvent complexes et diffuses

Cette loi constitue une étape dans une histoire qui commence, au moins, dans les années 1970 – date à laquelle la régulation des entreprises multinationales dans le cadre du droit international émerge en tant qu’enjeu politique. Elle est issue, dans sa conception, de l’expérience concrète d’associations et d’avocats, en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Inde, en Équateur et ailleurs, qui ont tenté pendant des années d’utiliser les armes du droit existant pour mettre les multinationales et leurs dirigeants face à leurs responsabilités. Parallèlement à la France, d’autres pays européens débattent de législations similaires – ce qui prouve à quel point le sujet est à l’ordre du jour. Dans les enceintes onusiennes comme le Conseil des droits de l’homme ou l’Organisation internationale du travail, les discussions se poursuivent sur des instruments de droit international visant à donner, comme la loi française, une effectivité juridique à la responsabilité des multinationales.

Pour un lecteur non averti, tout ceci pourrait peut-être paraître irréel. Nous ne sommes pas préparés, culturellement et historiquement, à imaginer une multinationale ou un patron d’entreprise dans un tribunal, devant un juge, obligés de répondre de leurs actes, sauf peut-être dans les cas les plus flagrants d’escroquerie ou de corruption. Les tribunaux sont faits pour les délinquants et les criminels ordinaires, en chair et en os, dont les actions sont clairement identifiables, avec des conséquences tout aussi claires sur la vie humaine ou l’intégrité des personnes et des biens.

Par comparaison, la délinquance ou la criminalité « en col blanc » – celle des spéculateurs, des fraudeurs fiscaux, des hommes d’affaires et des cadres d’entreprise – ne nous apparaît pas avec le même sens de gravité et d’immédiateté, même si ses conséquences directes ou indirectes peuvent être beaucoup plus sérieuses. Nous imaginons facilement juger l’assassin qui aurait fait une seule victime, et non juger l’entreprise ou le dirigeant dont les décisions froides ont directement entraîné une pollution, la commercialisation de produits dangereux ou un affaiblissement des règles de sécurité affectant la vie de centaines de riverains, de consommateurs ou de travailleurs.

Il y a de bonnes raisons à cela. Lorsqu’il est question d’abus de la part de multinationales, les actions, les processus de décision qui ont mené à ces actions, les causes et les chaînes de responsabilité sont souvent complexes, diffus et délicats à déterminer. Mais cette difficulté ne signifie pas qu’il n’y ait pas effectivement décision, action et nécessité de répondre de leurs conséquences. L’impression de discontinuité et de distance entre les décisions apparemment « impersonnelles » prises dans les salles de réunion des sièges des multinationales et leurs conséquences très concrètes pour les gens et pour la nature, parfois à l’autre bout du monde, est précisément ce qui facilite les abus et laisse libre cours à la seule recherche du profit financier.

Ramener les multinationales et leur pouvoir au sein d’un véritable « état de droit »

Parfois, ce principe d’irresponsabilité finit par entraîner des scandales de grande ampleur : effondrement au Bangladesh en 2013 de l’immeuble du Rana Plaza qui abritait des ateliers textiles travaillant pour de grandes marques occidentales ; marées noires avec leurs déversements de pétrole comme celles de l’Erika, de Chevron-Texaco dans l’Amazonie équatorienne ou celles qui polluent au quotidien le delta du Niger ; pollutions chimiques à grande échelle comme à Bhopal en Inde ; collaboration avec des dictatures ou des groupes terroristes. Mais il régit aussi, au quotidien, d’innombrables décisions prises par les directions d’entreprise, dont nous sentons indirectement les conséquences dans nos vies et qui font du monde d’aujourd’hui ce qu’il est, avec ses multiples défis sociaux, politiques et environnementaux.

En ce sens, la loi sur le devoir de vigilance n’est pas une loi « de niche » qui n’intéresserait que les ONG de solidarité internationale ou les défenseurs de l’environnement. La place croissante et, pour être clair, le pouvoir des multinationales – elles-mêmes de plus en plus dominées par les marchés financiers et leur logique de profit à court terme – sont aujourd’hui une réalité qui dépasse largement la seule sphère économique. Impossible d’y échapper. Elle engage nos modes de vie, la préservation des écosystèmes et du climat, notre cohésion sociale elle-même, au sein de chaque pays et entre pays. Ce pouvoir est aussi de plus en plus contesté par une grande partie de l’opinion publique, par les communautés qui accueillent (et souvent subissent) ces activités, et parfois par les travailleuses et travailleurs des multinationales eux- mêmes. Une forme de contrat social semble s’être rompue.

Face à ce constat, la tentation de beaucoup est d’en appeler simplement à une réaffirmation du pouvoir politique face aux pouvoirs économiques, d’exiger des autorités publiques qu’elles (ré)imposent enfin leurs règles et leurs volontés aux acteurs économiques et fassent primer l’intérêt général sur les intérêts privés. Difficile d’être en désaccord. Mais il ne faut pas non plus passer à côté de ce qui fait la spécificité de ce « pouvoir » qui est celui des multinationales, qui justement ne fonctionne pas sur le modèle de celui des États et ne s’oppose pas frontalement à eux – sauf, bien sûr, cas extrêmes. C’est un pouvoir de fait qui s’exerce dans les creux du pouvoir politique et de la législation, en occupant tout l’espace de ce qui n’est pas expressément interdit et effectivement sanctionné par les pouvoirs publics, ou en jouant de l’« extraterritorialité » que lui permet sa dimension multinationale par rapport aux frontières administratives et judiciaires. Il s’exerce aussi d’une certaine façon par le droit, en s’appuyant sur un « droit des affaires » qui le rend invisible et quasi naturel – par exemple celui des accords de libre-échange. C’est pourquoi le terrain juridique est tout aussi important que les terrains politique et économique face aux abus des multinationales.

Au fond, l’enjeu est de maintenir ou de ramener les multinationales et leur pouvoir au sein d’un véritable « état de droit » et d’un espace public démocratique. Les grands principes des droits de l’homme et des libertés civiles se sont construits, historiquement, en réponse à l’arbitraire des monarchies absolues ; il faut aujourd’hui les protéger ou les reconstruire face à ces nouveaux despotes que sont les grandes entreprises et les marchés financiers.

Le devoir de vigilance se situe en ce sens à l’une des plus importantes « frontières » actuelles de notre démocratie – une démocratie de plus en plus mondialisée et de plus en plus soumise aux pouvoirs économiques. C’est un outil et un point d’appui pour rééquilibrer, à la fois de l’intérieur et de l’extérieur des entreprises, un système de plus en plus biaisé en faveur des puissances de l’argent. Son avenir et la manière dont il sera mis à profit restent aujourd’hui à écrire.

Olivier Petitjean

Ce texte est tiré de l’introduction du livre d’Olivier Petitjean : Devoir de vigilance. Une victoire contre l’impunité des multinationales, 2019, éditions Charles Léopold Mayer, 174 pages, 10 euros.